L’accent québécois

On trouve dans cet enregistrement beaucoup d’illustrations de phénomènes phonétiques divers caractéristiques du français québécois: des tendances affectant la prononciation des consonnes et des voyelles, des phénomènes d’élisions et de conjugaison.

  • La prononciation des consonnes:

Les consonnes [d] et [t] sont affriquées (c’est-à-dire suivies d’un léger sont [s] ou [z]) quand elles précèdent les voyelles [y] ou [i]: Alors, vous avez entendu la question de notre auditeur euh… D’abord est-ce que c’est un phénomène qui est inhabituel? ([ɑ̃tɑ̃dzy], [odzitœʀ], [inabitsyɛl]) lien audio

La réduction des suites de 2 consonnes en syllabes fermées est fréquente, mais notons que ce n’est pas un phénomène exclusif au français québécois: mais il y a d’autres facteurs aussi qui peuvent euh causer ça ([dowt] à la place de [dotʀ]) une petite tache euh rougeâtre là ([ʀuʒɑwtlɑ]) un petit morceau de chair qui s’est détaché de l’oviducte ([lovidyk]) pour être capable de voir à l’intérieur de l’œuf là ([ɛtkapab])lien audio

  • La prononciation des voyelles:

En syllabes accentuées fermées, les voyelles longues tendent à se diphtonguer: vers l’âge de seize semaines ([ɑwʒ], [sɛjz]) il y aura pas de jaune à l’intérieur ([ʒown]) un petit morceau de chair qui s’est détaché ([mɔʀsotʃaɛʀ]) au début de la ponte ([dlapɔ̃wt]), etc.lien audio alors que les voyelles courtes ([i], [y] et [u]) tendent à se relâcher, c’est-à-dire qu’elles sont prononcées avec moins de tension (dans l’étirement ou l’arrondissement des lèvres) qu’en français standard: l’utérus de la poule ([yterYs], [pUl]) Ça c’est pas toxique ([tɔksIk]) le blanc d’œuf /va, doit/ être plus liquide ([likId]) les bruns vont venir de la poule brune ([bʀYn])lien audio En syllabes ouvertes, la voyelle nasale [ɑ̃] devient [æ̃], ou même [ɛ̃]: c’est un phénomène qui va se produire euh souvent lorsque la poule est très jeune, une fois de temps en temps là, elle a formé un blanc, c’est assez fréquent, etc.lien audio Le [ɑ] postérieur devient encore plus postérieur, jusqu’à se confondre presque avec le son [o]: Ça peut être une des raisons , ça, c’est pas toxique, quand ces filaments- sont pas  lien audio

  • Élisions et autres particularités de conjugaison:

Les adverbes “puis” et “bien” sont systématiquement prononcés “pis” et “ben”: pis son système est comme pas synchronisé encore pis ses premiers œufs que la poule va pondre {…} je |ne, le| sais pas euh si Jean-Marc, c’était des… des… des petits œufs qui… qu’il consommait ou ben non c’était des gros œufs lien audio L’élision des formes en “c’est” est typique du français familier, pas seulement au Québec: C’est un phénomène qui va se produire ([stœ̃] au lieu de [sɛtœ̃]) C’est à cette étape-là qu’ils vont euh s’assurer du contrôle de la qualité ([sta])

Même chose pour les formes démonstratives “cet(te)” prononcées [stø], mais dans cet enregistrement on en voit un exemple extrême où “ces” est prononcé [ste]: autour de ces deux jaunes-là [stedøʒownlɑ]

Parfois, la forme “c’est” est prononcée si légèrement qu’elle est presque inaudible: (ils) sont presque tous pareils parce que c’est selon le poids de l’œuf. lien audio L’élision du pronom “il(s)” (prononcé [i] au lieu de [il]) est normale devant consonne dans toutes les variétés de français oral “ordinaire”. Cependant, cette tendance est plus forte au Québec et elle s’étend aux conjugaisons des verbes commençant par une voyelle, ce qui entraîne l’apparition d’un hiatus: il a une auto / ils ont une auto ([ija], [ijɔ̃]) il a fait une tache de sang ([ija])

Donc, quand le locuteur prononce [ijavɛ], on ne peut pas toujours décider entre “il avait” et “il y avait”, d’où l’astuce de transcription: Il parlait d’une petite tache euh rougeâtre là qu’il (y) avait dans son œuf

Dans des cas extrêmes, le pronom “il” est complètement élidé: quand qu’il est tombé dans l’utérus ([kɑ̃ketɔ̃be]) lien audio Le pronom “elle” est prononcé [a] devant consonne: elle s’est ramassée ([aseʀamɑse]) elle va envoyer ([avaɑ̃vwaje]) plus la poule elle va vieillir ([plyslapUlavavjejiʀ]) lien audio Un autre phénomène d’élision connu (mais non exclusif au français québécois) est la disparition du pronom impersonnel “il” ou du pronom neutre “ça” dans des formes comme “faut faire ça”, “fait chier”. C’est cette disparition du sujet qui a produit la forme “fak” (contraction de “ce qui fait que” ou “ça fait que”), qui fonctionne comme un articulateur typiquement québécois: … elle a formé un blanc pis la coquille par dessus. Fak ça ça peut arriver là que si l’œuf était gros. lien audio Un autre trait connu de la conjugaison en français québécois est l’apparition de consonnes explétives non étymologiques (certains emploient l’adjectif pompeux d’éphelcystique), qui sont utilisées pour éviter les hiatus (“ça l’a pas marché”, “t’es -t- en forme”, “chu -t- enrhumée”, etc.): ils vont les mirer, vont les laver, vont classer les œufs, pis ils vont n’en faire la distribution. lien audio On entend aussi la consonne finale de certains participes passés, un phénomène qu’on pourrait confondre avec la liaison: il a fait une tache de sang ([ijafɛt]) lien audio Comme en français méridional, le “s” final de l’adverbe comparatif “plus” est prononcé dans toutes les positions, ce qui est contraire à la prononciation standard (où il n’est prononcé qu’en finale absolue): Pis plus la poule elle va vieillir, plus que son système est synchronisé lien audio

  • Intonation

L’accent tonique porte parfois sur l’avant-dernière syllabe au lieu de la dernière, dans le cas de mots de 3 syllabes ou plus: ça a rien à voir avec l’alimentation parce que là dans nos poulaillers {…}; on a des postes de classification; ils sont redirigés vers la transformation  lien audio ou dans le cas de la finale [ase]: c’est eux qui vont les classer; voir si les oeufs sont pas cassés lien audio Cette observation rejoint la théorie d’Henrietta Cedergren et de son équipe, selon laquelle le français québécois se distingue du français standard par le fait qu’il ne présente pas uniquement un accent tonique (purement démarcatif), mais aussi un accent dynamique, dépendant des propriétés syllabiques: “Nous supposons que l’accent dynamique en français québécois est une propriété des syllabes, tandis que l’accent tonique est une propriété des syntagmes intonatifs.” (H. Cedergren et al., “L’accentuation québécoise: une approche tonale”, Revue Québécoise de Linguistique vol 19 nº2, 1990, 25-58).

Spam prevention powered by Akismet