Couches lavables

Une jeune femme belge est interviewée à la radio sur les bienfaits des couches lavables et leur popularité en Belgique. La locutrice principale a un fort accent belge, reconnaissable au grasseyement des [r], à l’allongement des syllabes finales et à la confusion des semi-voyelles: elle prononce cuire comme “couire” et oui comme “ui”. Elle utilise également le belgicisme septante (pour soixante-dix). Les deux interlocutrices emploient un langage soigné (avec des formules prestigieuses comme “octroyer une prime”, “les éco-bilans sont toujours positifs”) et ont un débit moyen (210 mots/min.).

  • Première partie: Démystification des langes lavables [00:00 → 02:32]

Maintenant, pour tout le monde, on a maintenant des couches lavables qui sont préformées, aussi faciles à utiliser qu’un lange en papier, qui ne demandent pas plus de travail non plus, donc ce sont des petites couches qu’on installe de la même manière, on ajoute en plus une petite culotte de protection pour la fuite. Il y a rien de sorcier en fait.

C.L. (1)

  • Deuxième partie: Réelle économie ou phénomène de mode écolo? [02:32 → 05:13]

– En France, le marché du lange lavable explose, en Belgique, qu’en est-il?

– C’est à peu près la même chose aussi, c’est vraiment un phénomène de mode, en tout cas beaucoup de parents se renseignent et essaient de voir si ça peut être pratique.

C.L. (2)

Couches lavables (1)

enregistrement

– Vous faites partie du réseau associatif de l’ASBL «Peau à Peau», vous prônez, vous, l’utilisation des langes lavables, /mais, et/ on va s’entendre sur le terme, qu’est-ce que c’est exactement?

– Euh, par rapport euh aux couches? Eh bien en fait euh on f-… on organise des séances d’information sur les couches lavables depuis euh cinq six ans, tout simplement autour d’une table avec les différents modèles, les parents posent leurs questions, euh on les reçoit à domicile avec leurs demandes spécifiques, parce que il y a moyen de… de trouver beaucoup beaucoup de types, donc euh on organise ça autour de… de leurs demandes et euh — voilà.

– Donc on (n’) est plus avec euh ces espèces de bouts de tissus euh que nos grand-mères portaient, ce sont vraiment de… de langes qu’on peut laver.

– Oui, alors bon, par rapport aux bouts de tissus que les grand-mères faisaient euh pour les… les enfants, il y a encore des mères qui les utilisent, pour des soucis financiers. Ça peut se faire très facilement, parce que maintenant, on ne doit plus les faire cuire et les faire dé-… désinfecter dans la javel, c’est terminé, hein, maintenant, on a des machines qui sont performantes, des produits de lessive qui sont tout à fait corrects, donc euh on peut tout à fait (re)commencer là-dessus. Maintenant, pour tout le monde, on a maintenant des couches lavables qui sont préformées, qui sont aussi faciles à utiliser qu’un lange en papier euh, qui ne demandent pas plus de travail non plus, euh, donc ce sont des petites couches qu’on installe de la même manière, on ajoute en plus une petite culotte de protection pour le euh… pour la fuite. Il y a rien de de de sorcier en fait.

de différent. On prône l’utilisation, Sandrine F., de ces couches lavables notamment euh quant à leur impact sur l’écologie. Ça a vraiment un impact important?

– Oui bien sûr. Il faut savoir que les couches en papier sont des… sont fabriquées à base de dérivés pétroliers. Quand on pense euh à l’impact sur l’environnement, sur la peau des enfants, c’est sûr que si on réfléchit réellement euh à… à l’avantage des couches lavables, on commence à faire attention, c’est certain.

– Alors on… on s-… le gros désavantage entre guillements de ces couches lavables, c’est leur coût. On… Combien ça coûte?

– Alors on peut démarrer avec des budgets très simples, pour un pack, on peut… pour un pack qui peut aller de la naissance jusqu’à la propreté, on peut aller de trois cent à quatre cent euros. On peut bien sûr aller dans des budgets beaucoup plus élevés, parce que maintenant il faut savoir que les couches sont vraiment à la mode, on a des modèles très très bien faits avec des… des couleurs attrayantes, euh mais c’est pas toujours utile d’aller investir des sommes monstrueuses, donc on peut estimer qu’après l’investissement de départ, quand l’enfant souffle sa première bougie, vous avez récupéré votre investissement, et si les couches sont d’excellente qualité, ce qui est souvent le cas, vous pouvez les utiliser pour la fratrie qui arrivera.

→  Couches lavables (2)

Couches lavables (2)

enregistrement

– On dit aussi euh des couches lavables qu’elles ne sont pas forcément économiques, vous allez pouvoir nous dire euh si effectivement, ou… ou pas, parce que notamment les frais de… d’électricité, d’eau et caetera qui sont nécessaires pour leur entretien et leur lavage, eh bien sont tout aussi -t- im-… importants finalement que… que des couches normales jetables.

– Pas spécialement. Donc il faut aussi s’organiser. Quand on sait que maintenant la… donc on a le compteur de nuit, on peut déjà faire /aller, laver/ notre machine de nuit. Malgré tout, si vous faites votre machine de jour, donc tous les trois jours (donc on peut penser qu’on fait une… une lessive de couches tous les trois jours), les éco-bilans sont toujours positifs vers les couches lavables.

– Alors il faut savoir aussi, on a parlé de ce prix, hein, Sandrine, qui peut varier donc de cent à quatre cent euros pour des… des packs de ces langes lavables, qu’il y a des primes qui sont ⍽ octroyées par certaines communes; ça fonctionne comment?

– Alors, comment ça fonctionne? Donc, toujours se renseigner auprès de la commune. Donc, ce que je peux déjà vous dire c’est qu’en Flandres, ils sont vachement en avance; donc ici, sur 308 communes, on a euh… – je regarde – donc on a une centaine de communes qui sont actives et qui octroient une prime. En Wallonie, c’est un petit peu plus long, mais on a trois communes maintenant qui octroient une prime, donc je vais les citer: donc on a la commune de Namur, de Durbuy et maintenant de Nassogne. Donc euh, d’un point de vue pratique, les parents font leur commande, ils conservent leur facture, ils l’envoient à la commune, et ils auront un remboursement d’un maximum septante cinq euros sur le total. Donc c’est déjà pas mal comme petite somme et ça permet en tout cas de… de pencher vers le oui quand on réfléchit au… à l’investissement.

– En France, le marché du lange lavable explose, en Belgique, qu’en est-il?

– C’est à peu près la même chose aussi, c’est vraiment un phénomène de mode, en tout cas beaucoup de parents se renseignent euh et essaient de voir si… si ça peut être pratique. Il y a quand même pas mal de réticences par rapport euh au… au mythe de la femme qui va passer des heures à nettoyer ses couches, quand on prend le temps de voir que c’est pas beaucoup plus de travail, qu’on doit simplement avoir un peu d’espace pour les stocker et les nettoyer, on arrive euh… on constate que c’est tout à fait facile.

– Et puis pour ceux et celles qui se posent encore des questions sur ces couches lavables, Sandrine, il existe un guide qui vient de sortir.

– Oui, «Grandir autrement», en fait un magazine français, a sorti un guide de plus de trois cent pages qui répond à toutes les questions par rapport aux couches lavables. On parle des matières, de l’impact, du prix euh et on parle même, pour les personnes qui ont un budget très difficile, comment pouvoir faire ses couches soi-même, donc ça peut en tout cas rassurer beaucoup de personnes sur leur usage.

– Voilà. Et on peut retrouver les coordonnées de ce guide sur votre site Internet, trois fois W, Peau tiret à tiret Peau, point B E, trois fois W, point, Peau à Peau, point BE. Sandrine F., merci beaucoup!

– Oui, merci.

Lentilles

Un quinquagénaire corse raconte, sur un ton très théâtral, une anecdote d’enfance portant sur la culture des lentilles. Son père, agriculteur, lui avait confié la tâche de désherber et de récolter les lentilles et le locuteur explique les étapes de ce travail et les implications qu’il a eues pour lui. Le locuteur parle un français très formel et très soutenu, avec un débit extrêmement lent (130 mots/min.). On remarquera l’usage du passé simple (“nous nous penchâmes”), les inversions du sujet (“qu’est-ce à dire?”) et le recours à un vocabulaire très littéraire (“darder ses rayons”). L’accent corse est très léger, mais on peut l’apercevoir à l’allongement et la fermeture des “aire” et “ère” finaux: “se distrééére”, “mon pééére”, à une légère dénasalisation des voyelles nasales et à une mélodie descendant très bas en fin de phrases.

  • Première partie: Prologue [00:00 → 01:52]
    Cette histoire de lentilles me fait comprendre bien des années après qu’elle a été un tournant dans ma vie.

Transcription 1

  • Deuxième partie: Désherber les lentilles [01:52 → 07:54]
    Dans cette campagne, j’étais seul. J’avais douze ans. Il fallait désherber les lentilles au mois de mars.

Transcription 2

  • Troisième partie: La récolte des lentilles [07:54 → 10:30]
    «Quelle force tu as, dis donc, à douze ans, pour transporter toute ta récolte de lentilles sur le dos! C’est quand même extraordinaire, à ton âge!»

Transcription 3

  • Quatrième partie: La fin des lentilles [10:30 → 12:42]
    Et voici qu’à midi, mes belles lentilles exposées au soleil se gorgeaient de chaleur. Le repas de midi se passait en toute quiétude lorsqu’on entendit un appel: «Vite! Au feu!»

Transcription 4

Lentilles 1

enregistrement

Ah! Cette histoire de lentilles! Je m’en souviens encore, avec mon âge de vieillard de cinquante cinq ans. Il faut dire, j’avais un père intransigeant, très exigeant pour lui, mais ⍽ aussi pour les autres, hélas! Il n’admettait pas l’acte gratuit, c’est bien simple, il ne voulait pas entendre parler de plaisir dans le travail. Pour lui, le travail était une tâche qu’il fallait accomplir avec beaucoup de fatigue et sans plaisir. Il était ⍽ ainsi fait. Je ne comprenais pas, avec mes douze ans, pourquoi on (n’) aurait pas pu se distraire en travaillant par exemple, ou même travailler en se dépensant pour le plaisir simplement de se dépenser, c’est tout. Non, il fallait peiner et je ne comprenais pas ses imprécations, ses blasphèmes, ses cris, lorsqu’un travail était réduit à néant, par exemple par les intempéries, ou lorsque l’âne avait victorieusement franchi les barrières du champs de lentilles et qu’il s’en était mis plein la lampe, tout simplement. Alors colères du père, blasphèmes, imprécations contre tout le monde, contre lui, contre la nature, contre l’âne et même contre Dieu, bref contre un responsable, fût-il de très haut niveau. Et évidemment, je ne comprenais pas /ses, ces/ colères. C’est pour ça que cette histoire de lentilles me fait comprendre, bien des années après, qu’elle a été un tournant dans ma vie. Elle a été en quelque sorte une s-… prise de conscience.

Lent. 2

Lentilles 2

enregistrement

Je m’explique. Me voici à douze ans, en pleine campagne, au m-… plein mois de mars. Un vaste champs d’herbe: tout ⍽ était en herbe. Mais va donc! Pas d’herbe pour mon père.
– Tu vois? Ce sont des lentilles.
– Où sont-elles?
– Bien, c’est vert.
Mais lorsque tout ⍽ est en herbe, va donc repérer la tige de la lentille de la tige de la folle avoine de la tige de la pariéterre. Bref, je n’y comprenais rien, pour moi, tout ⍽ était vert. Mais pas question d’arracher n’importe quoi. Il fallait retirer le brin d’herbe verte, laisser la tige verte de la lentille et ainsi de suite, dans un champs qui me paraissait particulièrement vaste. Dans cette campagne, j’étais seul. J’avais douze ans. Il fallait désherber les lentilles au mois de mars. Angoisse, parce que ce champs, pour moi, c’était la vastitude. Pour moi, c’était la solitude. On (n’) entendait rien. On (n’) entendait rien sauf ce cuacualé cuacualé cuacualé. Qu’est-ce à dire? Un oiseau. Un oiseau qui ne faisait que répéter à longueur de journée cuacualé cuacualé cuacualé. Qu’est-ce que ça veut dire? Ça veut dire simplement, si on traduit littéralement (c’est du corse hein? bien sûr, hein? tu as compris) ça veut dire littéralement: «Qui es-tu? Qui es-tu? Qui es-tu?» Angoissé, je ne voulais pas répondre. Je ne savais que répondre. Cet importun me demandait à chaque instant: «Qui-es tu? Qui es-tu? Qui es-tu?» J’avais pris sur moi de dépasser l’angoisse existentielle du moment: fi donc pour cet oiseau, laissons-le tranquille! Et je me mis à désherber, tête en bas. Le soleil commence à darder ses rayons, vers dix heures, dix heures et demi, il faisait très chaud. Je commençais à percevoir une certaine fatigue. Et voici que dans mon dos j’entends: «Alors, que fais-tu tête en bas?» Surpris par ces propos qui n’étaient plus ceux du cuacualé, je me retournai avec une peur que tu peux imaginer, peur qui a grossi, qui a grandi démesurément lorsque je me suis tourné et que j’ai aperçu, à une bonne quinzaine de mètres de moi, à travers une haie, une tête, une tête échevelée qui avait tout de la sorcière et qui continuait à me dire: «Alors, tu ne me reconnais pas aujourd’hui?», d’une voix caverneuse. Il faut bien dire que j’ai reconnu d’abord la voix éthylique de Tsalé. Tsalé, entends par là Hélène, dame Hélène. En corse, on dit «dame» devant un prénom lorsqu’il s’agit d’une vieillarde de cinquante ans, et Tsalé avait à peu près mon âge actuellement. Elle venait du fin fond de la campagne, elle aussi. Elle venait trimer toute la matinée. Elle avait été intriguée par cet-… garçon, cet adolescent qui se levait, qui baissait la tête, qui se levait, qui baissait la tête. Séduite par mon manège, elle est venue, et poussée aussi par la curiosité, il faut dire, elle est venue aux nouvelles. Et quand elle m’a reconnu, alors seulement elle daigna m’adresser la parole. Lorsque je lui expliquai(s) que je désherbais les lentilles, elle m’a demandé au passage si mon père n’était pas un peu fou de larguer son fils de douze ans en pleine campagne au hasard des vilaines rencontres, sans doute entre autres la sienne. Au fait, était-elle mal disposée à mon égard à cette époque? Je commence à me poser la question, bien des années après, mais enfin passons, Tsalé était si gentille! Elle avait quand même un défaut: elle s’adonnait à la dive bouteille. Elle aimait boire. Tout le monde le savait, mais à l’époque on ne disait rien parce qu’une femme frappée d’éthylisme était mise au ban de la société. Elle était intriguée par ce va-et-vient de la tête du haut vers le bas, du bas vers le haut. Évidemment elle était surtout inquiète pour moi, car elle me vouait au vertige et elle, évidemment, je comprends maintenant pourquoi, elle était angoissée par cette perspective du vertige. Elle-même, sa tête branlait en permanence à cause de l’alcool, et sa démarche n’était pas sûre. Elle avait elle aussi la hantise du vertige, tu me comprends, maintenant, pourquoi elle craignait ce vertige pour moi aussi? Bref, après m’avoir recommandé d’être prudent, de faire attention – à quoi? je n’en sais rien, sinon à ce fameux cuacualé – elle est partie, brinquebalant et elle est rentrée, sans doute, j’imagine, paisiblement chez elle. Ces lentilles, je les ai désherbées jusque au soir, c’est à dire jusqu’à quatre heures de l’après midi, et j’en avais assez. J’avais véritablement mon vertige! Et effectivement, sur le chemin du retour, ma démarche n’était plus aussi assurée qu’à l’aller, seulement, voilà: je n’avais pas bu. J’étais littéralement saoul moi aussi, mais saoul de fatigue. Ça existait. Je n’en avais pas ⍽ encore conscience.

Lent. 3

Lentilles 3

enregistrement

Alors, pour abréger un peu cette histoire de lentilles, je dirai ceci: c’est que du mois de mars nous passons au mois de juin. Ah, au mois de juin, fin juin, chez nous, la nature n’est plus aussi verte, hein? Elle est devenue jaune. L’herbe est littéralement brûlée par le soleil, le soleil du midi, le soleil méditerranéen, le soleil ardent des fortes chaleurs. Mais ces lentilles, mon père ne les avait pas semées pour rien. Il fallait les récolter et, m’a-t-il dit: «Comme tu sais où est l’endroit, maintenant, tu les as désherbées à peu près correctement, la récolte s’annonce bonne, eh bien maintenant il faut aller les récolter». Et après m’avoir donné bien des conseils, me voici de nouveau dans mon champs de lentilles, non plus pour le désherber mais pour en déterrer les plants, et je commence à tirer sur un plant et sur un autre, et toujours cette impression de vastitude car le travail n’en finissait jamais, et toujours ce sempiternel et impertinent cuacualé cuacualé cuacualé dans mon dos. Bref, après ⍽ avoir déterré chaque plant de lentilles sèches (j’ai remarqué, ces lentilles, elles étaient belles, larges, pondéreuses à souhait, j’étais assez content de moi), j’ai mis le tout dans un vaste linceul, j’en ai attaché les quatre bouts et puis il fallait accomplir maintenant la mission terminale: se mettre ce linceul sur son dos, et hue dia! en avant! direction: la maison, avec mon chargement de lentilles. C’était à la fois lourd et léger: lourd, parce que c’était encombrant, léger, parce que je me disais: «Quelle force tu as, dis donc, à douze ans, pour transporter toute ta récolte de lentilles sur le dos! C’est quand même extraordinaire, à ton âge!» Je commençais à devenir, sans le savoir, un petit peu adulte. Bref, en arrivant devant la maison, les quolibets commencent à pleuvoir: «Hé, dis donc, tu fais le bohémien maintenant? Tu déménages? Salut, petit âne! Tu es bien chargé pour ton âge!» Les avatars, je ne pensais pas qu’il pouvait ⍽ y en avoir autant: d’abord un âne, ensuite un bohémien et, pour finir, un véritable tzigane. Ne me manquait que le violon.

Lent. 4

Lentilles 4

enregistrement

Bref, j’abrège encore, et me voici dans la cour de l’immeuble que j’habitais. Cette cour, bien exposée au sud, était ⍽ une véritable merveille d’ensoleillement: plate, bien exposée, quoi de mieux que d’y mettre mon tout de lentilles? Et selon les conseils paternels, il fallait bien les étaler, bien les étendre sur le linceul afin que chaque tige puisse emmagasiner sa quantité de chaleur solaire. Car le père devait contrôler tout cela le soir. Et voici qu’à midi, mes belles lentilles, exposées au soleil, se gorgeaient de chaleur. Le repas de midi se passait en toute quiétude lorsqu’on entendit un appel, un appel angoissé, effrayant: «Vite! Au feu!» Nous nous penchâmes à notre balcon, et qu’ai-je vu? Mes lentilles, embrasées dans une seule flamme. Evidemment, un monsieur ou un jeune homme, n’ayant pas fait attention, a lancé son mégot au beau milieu de mes lentilles. Ce ne fut plus qu’un embrasement. Mon père à mes côtés, conforme à son personnage, commença ses imprécations, ses blasphèmes, ses colères contre tout le monde, y compris contre lui-même, et moi-même, intérieurement, je l’approuvais. Je blasphèmais, je tempêtais, je ne décolérais pas, car enfin – et c’est là que mon histoire de lentilles est une véritable prise de conscience – je compris qu’il n’y avait pas d’effort vain et qu’il ne pouvait pas en exister. Compte tenu de tout ce… de toutes mes dépenses depuis le mois de mars, et voyant le résultat auquel j’étais parvenu, je pensais que ma colère était ⍽ extrêmement légitime, et je commençais enfin à comprendre mon père, mais j’avais déjà un pied au monde des adultes.

Accident de voiture

Un très jeune conducteur de 18 ans, originaire du sud de la France, raconte en détail un accident de voiture grave qui lui est arrivé récemment. Son interlocutrice, qui conduit l’interview, le coupe assez souvent pour lui soutirer le maximim d’information. Le locuteur principal n’a pas d’accent régional, tandis que son interlocutrice présente un léger accent provençal. Il est clair qu’ils font tous les deux des efforts pour parler une variété de français soutenue, surtout en ce qui concerne le lexique. Par exemple, le locuteur principal utilise le mot pneumatique à la place de pneu. Les élisions sont nombreuses dans cet enregistrement, chez les deux locuteurs. À côté des élisions de [e] muets, on remarque les élisions des pronoms tu et il, qui indiquent un style familier:
– Et t’as… t’es sorti comment?
Et y a ce fameux témoin qui était donc sur le talus et i’ criait, i’criait…
Pour ce qui est de la prononciation de il, il est intéressant de noter que les linguistes Damourette et Pichon considéraient, au début du 20e siècle, que la prononciation élidée devant consonne était la norme du français soigné et que la prononciation non élidée était employée par les nouveaux riches qui voulaient trop bien faire…
Le débit du locuteur principal est moyen (220 mots / min.)

  • Première partie: L’accident de Pascal [0:00 → 03:31]

Enfin, à l’entrée d’un virage, j’ai un roulement (donc, c’est un roulement de la roue arrière) qui a… qui a cassé… qui m’a bloqué la roue, ce qui fait que j’ai pas pu récupérer la voiture.

Accident (1)

  • Deuxième partie: Dans la tête de Pascal [03:31 → 05:53]

Quand j’ai vu le ciel euh… défiler, je me suis dit, « C’est pas bon. » Alors, j’ai… j’ai agrippé le volant, et j’ai planqué ma tête entre les coudes.

Accident (2)

  • Troisième partie: Les suites de l’accident [05:53 → 09:47]

Bon, sur le coup euh… il fallait que je… que je me remette euh… de niveau, parce que ça a tellement tourné… le cerveau, il a plus de point… plus de point, donc. On… on est un peu en déséquilibre.

Accident (3)

Accident de voiture (1)

Enregistrement

– Alors, l’accident euh il s’est produit au mois d’août euh, dans la troisième semaine du mois d’août exactement. Euh je revenais chez moi en voiture et

– Tu habites où, exactement?

– Exactement, j’habite à la Tour d’Aigues.

– Ouais.

– Donc, je revenais à… de l’étang de la Bonde, sur la Tour d’Aigues [mm mm] et dans un virage, enfin, à l’entrée d’un virage, j’ai un roulement (donc, c’est x un roulement de la roue arrière) qui a… qui a cassé, qui m’a bloqué la roue [mm mm], ce qui fait que j’ai pas pu récupérer la voiture. Eh ben, je suis parti dans une vigne qui était à deux… euh environ deux-trois mètres plus bas [mm mm] que le niveau de la route. Alors il y a eu une re-… une reconstitution [mm mm] de l’accident, pour savoir si j’étais en tort ou si j’étais pas en tort. Et la reconstitution a dit que, bon, je… je suis ressorti du virage, mais pas du bon côté, quoi, j’étais plus du côté droit, j’étais carrément du côté gauche. [mm mm] Bon, j’ai eu la chance c’est qu’il n’y ait pas /une, eu de/ voiture qui… qui arrive en face, sinon, là [mm mm] ça aurait été catastrophique. [mm] Donc je suis sorti carrément sur la gauche, et là j’ai percuté un poteau électrique qui était en… en bordure. [mm mm] Alors, j’ai attrapé le poteau électrique sur euh son arête. De là, la voiture, elle a pivoté, de cent quatre-vingt degrés, et après, elle est tombée, donc, dans la vigne qui était trois mètres en contrebas. [mm mm] Et de là, elle a fait deux tonneaux, donc, de l’arrière en avant de la voiture [mm] et j’en ai fait trois petits sur le côté.

– Ouais, mm. Et toi, au volant, qu’est-ce que tu as ressenti? Enfin, quand tu as compris que il y avait un problème, tu as… tu as réagi, tu as… enfin, je sais pas?

– Ben euh, ça s-… euh ça s’est passé vraiment vite.

– Oui.

– Quand… moi, je su-… je suis arrivé dans… dans ce virage, bon, c’est x un virage qui est pas du tout dangereux. Il est plat. On… on se laisse pas déporter sur l’extérieur. [mm] /Ouais, Bon/, je roulais à quoi? Un quatre-vingt dix, ou même un bon cent [mm] et j’ai entendu… ça a fait comme… comme quand x on tire un fusil de chasse, quand x on est dehors, qu’on se promène que… que… qu’un ch-… qu’un chasseur tire. [mm] Euh, ça faisait le même bruit. De l’intérieur de la voiture, ça a fait le même bruit, et j’ai eu le volant qui a… qui a carrément tiré sur la droite [mm] et moi euh, le réflexe que j’ai eu, c’est de tenir la voiture sur la route. [mm] Donc j’ai donné un coup de volant sur la gauche. [mm] Mais – – tout ça, en se passant dans ce fameux virage, eh ben

– Ouais.

– la voiture s’est carrément déportée de l’autre côté. [mm mm] Et j’ai eu la chance aussi d’avoir un témoin qui était derrière

– Ouais.

– dans une autre voiture [mm] qu-… qui a pu expliquer. Bon, moi, j’ai pu dire aux gendarmes ce qui s’était passé, vu… vu de l’intérieur de la voiture [mm] mais exactement, je pouvais pas dire. Moi, j’ai dit: «J’ai entendu ce bruit, et puis la voiture a… a littéralement tiré d’un côté». [mm] Bon, moi, j’ai essayé de la maîtriser, puis elle est partie de l’autre côté, j’ai pas… j’ai pu rien faire. [mm mm] Et le… le témoin de derrière a… a dit que la roue arrière… bon, il l’a pas vue se bloquer [mm] mais il a vu l-… de la fumée, co-… comme si ma roue arrière prenait feu. En fait, c’est le… le… le pneumatique qui… qui brûlait sur le goudron, quoi. [mm mm] Donc la… la voiture, elle a pivoté autour de ce poteau. [mm] Elle a fait tous ces tonneaux, et moi, à l’intérieur euh, la chose que j’ai ressentie, c’est – -, just-… jusqu’à ce que je tape le poteau, c’était essayer de maîtriser la voiture.

– Ouais.

– Et quand je me suis vu que j’étais carrément sur le côté gauche euh, essayer de passer entre le poteau électrique et… et éviter de retourner sur la route, parce que, ce que je craignais, c’est qu’il y ait une voiture qui… qui… qui vienne surtout en face, et… et là, je percute. [mm mm] Bon, moi, j’essayais de rester sur le talus, et puis, en fait, la voiture a… a tapé le poteau, hein?

Accident (2)

Accident de voiture (2)

Enregistrement

– Et quand tu as fait tous ces tonneaux, tu étais encore conscient, tu penses? Ou pas? Ou plus?

– Euh, on pense, oui. Je pense qu’on pense.

– Ouais.

– Oui, oui. Bon qu-… quand j’ai tapé le poteau, je me suis dit: «C’est bon, la voiture va s’arrêter». [mm mm] Mais bon, elle a pivoté. Donc, je me suis retrouvé — dans le sens inverse de la route [mm mm] et la voiture a… est tombée en a-… le cul en premier, et elle a commencé à tourner. Quand j’ai vu le ciel euh défiler, je me suis dit: «C’est… c’est pas bon». Alors, j’ai… j’ai agrippé le volant, et j’ai planqué ma tête entre les coudes

– Ah oui.

– et

Tu as eu le réflexe quand même de te protéger?

– J’… j’ai eu le réflexe de me protéger, j’ai dit: «Là, je peux plus… plus récupérer la voiture» euh, j’ai dit [mm mm]: «Il faut que je me protège au maximum» et [mm mm] quand j’ai vu que ça a commencé à tourner, j’ai… j’ai eu le réflexe surtout de… d’agripper le volant, parce que si je lâchais le volant, j’avais plus de prise au niveau des mains, et là, j’aurais pu glisser entre la ceinture et… et le siège.

– Ouais. Mm mm

– Donc, je me suis agrippé au volant, et… et j’ai laissé aller. Bon, le… la seule chose que je peux faire remarquer, c’est que, bon, j’ai fermé les yeux (je pense que ça a été un réflexe, plutôt

– Ouais.

– qu’autre chose) [mm mm] mais j’ai rien entendu

– Ouais.

– J’ai… j’ai eu une acuité au niveau… au niveau du son. J’ai rien entendu pendant… pendant les tonneaux. J’ai juste ressenti euh la vitre avant s’en aller, la vitre arrière, aussi, et j’ai senti ces… des… des choses qui passent.

– Ah ouais?

– On peut ressentir, c’est… c’est bizarre, c’est x in-… indescriptible, ça.

– Mais effectivement, ça passait, ou est-ce que c’était une impression? Enfin …

– Euh, je pense qu’il y a des choses qui passaient

– Oui.

– parce que j’ai le… le… le coffre arrière qui a explosé. Du reste, euh, j’ai été ouvert derrière l’oreille, je me suis pris mon cric.

– Oui.

– Donc, il y a des choses qui sont réellement passées. En fait, c’est une x sensation, c’est comme si… si on savait que les… qu’est-ce… qu’est-ce qui passait à… à cinquante centimètres

– Ouais.

– ou à un mètre dans la voiture, hein? [mm mm] C’est… c’est x indescriptible. Et bon, quand x on tourne comme ça euh, on (n’) a plus de, comment… de point de repère. Et ça… ça fait comme dans un rêve. Moi, j’ai ressenti comme si… si j’étais dans un rêve [mm mm], mais un rêve dangereux. En fait, je savais

– Ouais.

– que je pouvais y rester, comme je pouvais pas y rester.

– Mm mm. Et alors, après tous ces tonneaux, tu t’es retrouvé comment? dans quel état? Où, exactement? Bon, dans la vigne, mais comment?

– Euh, alors euh, la… la voiture, elle s’est posée sur une rangée de vignes [mm mm] alors euh, elle est retombée sur les quatre roues, s-… c’est… ça a été une chance qu’elle tombe pas sur le toit.

– Ouais.

– Donc, elle est retombée sur les quatre roues, et la première chose que j’ai faite, j’ai… Bon, j’ai vu qu’i-… qu’il y a plus rien qui… qui bougeait. Ça tournait plus. Alors, ce que j’ai fait, j’ai ouvert les yeux, j’ai vu que j’étais à l’horizontale, j’ai coupé le contact, j’ai enlevé la ceinture, et je suis sorti de la voiture. [mm mm]

Accident (3)

Accident de voiture (3)

Enregistrement

– Bon, j’ai regard-… le… le

– Et tu as… tu es sorti comment? En titubant ou?

– Je suis sorti de la voiture. Bon, sur le coup, euh, il fallait que je… que je me remette euh de niveau, parce que ça a tellement tourné, euh, le cerveau, il a plus de point…

– Oui.

– plus de point. Donc, on… on est un peu en déséquilibre, mais… mais c’est… c’est l’espace de cinq-six secondes, quoi. Bon, je me suis tenu à la voiture pendant ces cinq-six secondes, et après le réflexe, ça a été de regarder la voiture. Je faisais le tour de la voiture, je voyais ce qui… ce qui allait [mm] et je voyais la voiture, et il y a ce fameux témoin qui était donc sur le haut du talus, trois mètres plus haut, et il criait, il criait: «Ça va? Ça va? Ça va?», et puis, au bout de la… je sais pas, la quatrième fois, je me dis: «Ah mais, il y a quelqu’un qui me parle», je me rendais pas compte qu’il y a quelqu’un qui me parlait. [ouais] Donc, je le regardais, je fais: «Qu’est-ce qu’il y a?» Et il me dit: «Regarde pas la voiture, regarde-toi, si tu vas bien». Alors, je fais… Alors, je me… je me suis regardé, je fais: «Oui, oui, c’est bon, euh, il y a pas de problème, je… je vais bien, je… je… j’ai pas mal, quoi». Alors, je suis monté le voir, euh, et je lui dis: «Mais… mais qu’est-ce qui s’est passé exactement? Parce que, euh, moi, j’ai entendu ce bruit, puis après … Bon, je me souviens avoir tapé le poteau, mais après le poteau, quand j’ai vu le ciel, ben, je me souviens plus de rien». Mais il m’a dit: «Je sais pas ce qui s’est passé derrière, mais … Enfin, tu es arrivé là». Donc, les gendarmes sont arrivés par la suite, parce que la voiture, elle a quand même coupé le poteau. Je suis arrivé sur l’angle mort, puis avec le moteur, devant, ça a… ça a coupé le poteau en deux. [mm mm] Donc, euh, à la suite, euh, j’ai été faire euh des radios immédiatement, de… de la colonne euh vertébrale, des cervicales, des épaules, et puis des côtes sur le côté, parce que j’étais ouvert aussi au niveau des côtes, du côté droit. Ah là, c’est la ceinture qui m’a.. qui m’a tenu.

– Ouais, qui a coupé.

– J’ai eu des… des ecchymoses.

– XXX ouais. Et qui t’a tellement serré, que ça t’a blessé.

– Et qui m’a tellement serré que ça… ça m’a ouvert au niveau… entre les côtes flottantes et les…. les côtes normales, quoi.

– Ah oui, d’accord.

– J’ai eu une ecchymose au niveau de l’épaule gauche, ben, c’est… c’est là où passe la ceinture, en fait, hein? Ça… il y a eu tellement euh

– de choc?

– de choc que ça m’a tenu. Ben, sinon, j’ai eu des tétanisations musculaires pendant une semaine au niveau du… du cou, des trapèzes, parce que bon, le réflexe… (là… là, c’est plus musculaire, c’est même plus des… c’est les réflexes, c’est… c’est les nerfs qui prennent le dessus). Donc, euh, je suis resté droit. Le cou, apparemment, il a dû rester droit, puisque je pouvais plus bouger. Bon, j’ai eu une minerve. Bon, j’ai fait des radios, et j’ai eu deux vertèbres qui se sont collées. Mais sinon, euh, à part ça, j’ai rien eu à court terme. Euh, bon, j’ai… je n’ai plus pu bouger pendant une semaine. [mm mm] Mais sinon, à… à court terme, j’ai rien eu d’autre.

– Mais psychologiquement, ça t’a quand même marqué, hein?

– Ah, psychologiquement, ouais. C’est ça… c’est le problème à long terme, c’est que, bon, je me dis c’est x un accident, euh. Oh, ça aurait pu arriver à n’importe qui, hein? Ça aurait peut-être pu m’arriver dans une autre voiture ou quoi, mais à… à long terme, je me dis que … je… j’ai eu de la chance, mais des choses comme ça, on peut pas les oublier. [mm mm] Mais je sais que maintenant, euh, bon, quand je conduis une voiture, ça va, je… je suis à l’aise, et encore, suivant la voiture, si je suis mal à l’aise, bon, je… je conduis pas, parce que je me sens mal à l’aise dans la voiture, j’ai plus confiance en la voiture. Euh, mais le pire, c’est que je… j’ai plus confiance en personne quand je suis sur le côté passager ou derrière. Euh, je vois un virage, même quand… à vit-… même quand… quand x on roule à… à quatre-vingt dix, euh, ou sur l’autoroute à cent-dix cent-trente, je… je vois une courbe, ben, j’ai des films qui dé-… j’ai des films qui… qui défilent, je me vois dans la voiture lors de mon accident [mm mm] Et j’arrive à… à reconstruire un film en voyant la voiture de l’extérieur, ce qu’elle fait, mais je vois un virage, que ce soit un rond-point euh n’importe où, je me vois, je vois la voiture sortir, j’ai… C’est x une angoisse que j’ai, c’est pas une peur, c’est… c’est x une angoisse, j’ai… j’ai plus confiance en personne. Pourtant, les… les personnes savent conduire, hein?

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