Semaine 4, jeudi

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MONTAIGNE (2)
L’EXERCICE, L’ÉDUCATION, ET COMMENT (S’)ESSAYER DE COMPRENDRE (LES ESSAIS, L’HUMANITÉ, LE MONDE… BREF, TOUT) 

Dans notre édition : p. (6-)23-51, 128-75
Les textes intégraux :
II.6 « De l’exercitation »
I.26 « De l’institution des enfants »

COMMENT LIRE / ESSAYER DE S’APPROCHER DES ESSAIS DE MONTAIGNE ?

  • la linéarité vs la circularité vs … autre chose …
  • la variété du contenu : couches, types, longueur, style, contenu : donnant de la texture au texte, avec la pensée de Montaigne qui sert de fil conducteur pour tisser le tout ensemble dans une grande tapisserie (et plus grand que cela, au-delà, plus ambitieux comme création)
  • les couches d’écriture :
    • 1ère éd = 1580, 2e = 1588, 3e (posthume, Marie de Gournay) = 1595
    • les citations (surtout en latin)
    • les histoires (souvent des emprunts en paraphrase)
    • les anecdotes de la vie (autobiographie, autofiction, histoire)
    • la collection, la réduplication et la répétition-avec-variation, la (sur)abondance, cornucopia
    • la divagation, la digression, les tangents, les promenades, les rêveries
    • le raisonnement, les débats (avec soi-même ou avec le lecteur), la pensée en progrès sur le vif
    • ce qui paraît être un collage (mais dont les parties sont connectés entre eux par cette pensée sur le vif) et une confusion désorganisée … mais qui essaye (et c’est un essai, donc comme toute expérience (« experiment ») scientifique, pourrait échouer et accepte ce risque) d’être tout à la fois, simultanément, et de représenter ce qui se passe à l’intérieur (lecture, pensée, écriture) : que le lecteur fasse l’expérience lui-même, avec (et dans) le livre ; c’est censé être difficile, ce projet humaniste ambitieux et innovateur, qui essaye de représenter quelque chose qui n’a jamais été représenté et qu’il est (peut-être ?) impossible de représenter
  • un travail de plusieurs relectures :
    • par couche d’écriture (ex. la pensée pure, les citations, les emprunts remaniés, les anecdotes)
    • en recherchant ce qui se répète (p. ex. reprise dans une accumulation d’exemples), et les retours et reprises : soulignant ou essayant de vraiment comprendre une idée qui semble importante à l’auteur, qu’il est en train de travailler
    • les ralentissements et les pauses
    • toute question et autre communication directe avec le lecteur

APPRENDRE AFIN D’ESSAYER D’ÉVITER LE DÉSASTRE
tout en observant, en réfléchissant, en posant des questions, en auto- et méta-critique sceptique
https://www.histoire-image.org/recherche-avancee?keys=&auteur=&theme=&mots_cles=&periode=3418&type=All&lieu=All&animation%5B%5D=0&animation%5B%5D=1

François Dubois, Le Massacre de la Saint-Barthélemy (1572)
Pablo Picasso, Guernica (1937)

APPRENDRE : QUOI, POURQUOI, COMMENT ?

  • Un vrai savoir (« science »), l’expérience directe, le vu et vécu, l’observation et l’analyse, en visant la compréhension « digérée » afin de mettre en pratique
    « …chacun est à soi-même une très bonne discipline, pourvu qu’il ait la suffisance de s’épier de près. Ce n’est pas ici ma doctrine, c’est mon savoir ; et ce n’est pas la leçon d’autrui, c’est la mienne. » (p. 47, ll. 293-96)
  • Quelques images et métaphores :
    • le physiologique animal, digération, incorporation (ex. une citation bien comprise et transformée en paraphrase, dans la propre version de Montaigne)
    • le végétal, les plantes, l’agriculture
    • les abeilles qui font du miel
  • les emprunts (y compris les citations), les digressions, les tangents, les contradictions et les corrections, la confusion, qui paraît être un désordre  … mais « S’en servira qui voudra » (p. 169, ll. 1110-11) : à vous, le lecteur, de trouver (ou non) du sens, d’y travailler, de vous y « exercer » à votre tour, donnant souffle et vie aus Essais, les continuant…
  • le jeu, le pratique, le vécu : y compris voyager pour apprendre les langues étrangères et apprendre des étrangers
  • la curiosité : nourrir cet appétit pour le savoir
  • objectifs pédagogiques : au-delà de la pédagogie, de la formation, de ce qu’on perçoit même aujourd’hui comme « learning outcomes » : développer son propre bon jugement, l’esprit critique mais aussi compatisant et compréhensif, chercher / s’essayer de devenir un bon être humain
  • vs d’autres formes de savoir, critiquées : les mauvais maîtres / pédagogues (p. 129), le par-cœur, le matériel inutile et stérile
  • vs (ironique, sympathique, honnête ?) la « langueur et paresse [et] fainéantise » (p. 173, ll. 1227-30) d’un jeune Montaigne « si pesant, mol et endormi qu’on ne me pouvait arracher de l’oisiveté, [même pas] pour me faire jouer. Ce que je voyais, je le voyais bien et, sous cette complexion lourde, je nourrissais des imaginations hardies et des opinions au-dessus de mon âge. L’esprit, je l’avais lent, et qui n’allait qu’autant qu’on le menait ; l’appréhension, tardive ; l’invention, lâche ; et après tout, un incroyable défaut de mémoire. » (p. 172, ll. 1176-83)

LE « SKELETOS » (p. 50 l.367), LE BRANLEMENT, ET UN ESSAI D’ALLER AU-DELÀ D’UN AUTOPORTRAIT :

  • « je suis moi-même la matière de mon livre » (p. 24, l. 19)
  • en se formant (comme œuvre d’art), tout en se représenter dans son écriture, mais aussi avec l’écriture et la relecture du soi qui forment l’écrivain : surtout dans la 3e couche de révisions, de nouveaux essais dans le livre III (ex. III.2 « Du repentir, » extrait p. 27-28 ; III.9 « De la vanité » p.31-32) où on voit un Montaigne qui se relit et s’analyse
  • esprit sceptique et scientifique : observation, analyse, critique
  • essayer de montrer *tout* ce qui se passe dans un être, et qui le constitue ; toutes les parties et les couches et leur fonctionnement, en mouvement ; essayer de représenter la pensée et la vie… en quatre dimensions
  • vs la peinture, la sculpture, la tapisserie, les arts plastiques et décoratifs, l’écriture : et leurs limites

Voilà pourquoi on est en train de lire ces deux essais-ci comme introduction au projet des Essais. Tous les deux concernent l’éducation, et leur lecture est une mise en pratique de l’apprentissage comme « exercice. » En mettant les deux ensemble, on voit un essai de comprendre la mort et la vie, tout en apprenant / par le fait d’apprendre.

L’apprentissage est à son tour un moment de mouvement, de changement, de réflexion sur soi : c’est à dire la vie, l’essence humaine (et humaniste). Est-ce en apprenant, en lisant, et en réflechissant que nous sommes le plus vivant ? (Platon entr’autres)

Quelques auto-portraits, pour comparer les approches d’artistes (en nous rappelant les idées de la semaine dernière sur la métamorphose) :

Philippe de Champaigne, Vanitas (c. 1671)
Maria van Oosterwijck, Vanitas (c. 1668)
David Bailly, Vanitas avec (auto-)portrait d’un jeune peintre (c. 1651)

https://www.artsy.net/article/artsy-editorial-these-women-artists-influenced-the-renaissance-and-baroque

Un rappel du début du cours, des difficultés / richesses qui donnent de la texture au texte, avec la pensée de Montaigne qui sert de fil conducteur pour tisser le tout ensemble dans une grande tapisserie (et plus grand que cela, au-delà, plus ambitieux comme création). Mais on passe au-delà des métaphores littéraires (traditionnelles, bien connues) de texte / tissé / textile, avec l’ajout de l’intention d’y ajouter (avec / par ce fil conducteur de la pensée en progrès) le souffle de la vie. Le projet est de représenter et de concevoir l’être humain dans sa totalité : une humanité complexe, contradictoire, plurielle, en mouvement, animée, vitale, vivante ; la vie elle-même.

(Si vous aimez cette idée : voir aussi Balzac et Proust.)

Une analogie : l’œuvre de Léonard de Vinci, perçue dans sa totalité : y compris les croquis, brouillons, dessins, notes, cahiers, et travaux (ex. peintures) finies.

Les cahiers nous intéressent ici :

  • une collection qui comprend tout (anatomie, inventions, portraits, essais de décrire et dépeindre le mouvement d’un muscle ou de l’eau, etc.) ;
  • qui mélange son matériel, et ce mélange nous donne une idée de la pensée derrière le travail, cette pensée qui serait (comme dans les Essais) un fil conducteur donnant chemin et sens à l’œuvre ;
  • qui essaye, quand aux êtres humains, de représenter une totalité (os, articulations, muscles, systèmes nerveux et sanguinaires, peau) dans toutes les couches et leurs complications, avec les liens et les mélanges et la continuité entre eux, du superficiel au plus profond, et aussi l’invisible à l’intérieur.

Le contexte dans l’histoire de la médecine, des sciences, et des idées : la place qu’occupe Léonard de Vinci dans l’anatomie de la fin 15e au 17e s., et ses implications pour la compréhension de l’humain (« sciences humaines » = anthropologie) et du vivant (« sciences de la vie » = biologie). Voir comme introduction par exemple cet article de la Wikipédia (la version anglaise est plus complète dans ce domaine-ci).

Musée du Louvre : Un autre essai : de comprendre « La Joconde »

Un premier carnet : British Library, ms Arundel 263

Un deuxième : la collection royale britannique de Léonard de Vinci

Le livre qu’on a vu en classe, le catalogue d’une exposition des dessins anatomiques de Léonard (Jeux olympiques d’hiver, Vancouver, 2010) : dont quelques images sont en ligne ici et (d’un autre ouvrage associé) ici :