L’accent du Nord

L’accent du Nord est connu à cause du grand succès du film ”Bienvenue chez les Ch’tis” (2008), qui a revalorisé cet accent qui avait mauvaise réputation. La locutrice de l’enregistrement est de Nancy, c’est donc une Lorraine et elle représente la frange Est de l’accent ch’ti.

Voyelles
On remarque une tendance générale à la fermeture des voyelles, surtout en position accentuée. Les [a] sont reculés, donc prononcés comme des [ɑ] postérieurs fermés proches du ”ô”; en syllabe inaccentuée cette fermeture peut s’accompagner d’une légère nasalisation, ainsi le dernier exemple ”on s’attendait pas” se confond avec ”on s’entendait pas” :

puis j’ai dit: «J’ai vraiment quelque chose qui va pas
parce que j’ai passé des… des villages, des bois,
et puis qu’il a voulu prendre les tasses à café,
Bon, ben, je pense que c’est râpé, j’ai dit
Puis, on s’attendait pas lien audio

Les [ɛ] sont souvent prononcés [e] (dans le verbe ”faire” notamment) et ils sont allongés et diphtongués en syllabe fermée :

j’y… j’y peux rien. Ça a fait… ça a fait tilt, et puis, c’est tout, hein?
Mon fils avait treize ans.
Oh, j’ai dit, oh, il y a un problème lien audio

Le [o], déjà fermé, l’est encore plus, diphtongué et s’approchant du [u]:

Rien, il est parti dans la voiture fout! direction Vosges, wow alors lien audio

La voyelle nasale [ɑ̃] se ferme en [ɔ̃] et on a beaucoup de combinaisons avec des [a] et des [ɑ̃] fermés, comme ”maman” prononcé ”mômon”:

il me dit: «Maman, viens voir, il y a quelque chose»
Je lui ai dit carrément
Il a dit: «Oui, le… le gars de la campagne, là, le… le… celui-, de l’agence»
Bon, ben, quand même la campagne…. Je voyais pas la campagne-campagne, je voyais la campagne moderne
j’allais être la nouvelle femme, comme les enfants pensaient
c’est quand il a rangé pour euh la vaisselle lien audio

Consonnes
L’accent du Nord – Alsace – Lorraine est connu pour être influencé par l’Allemand en ce qui concerne la prononciation des consonnes : les consonnes finales sonores (surtout les constrictives) seraient assourdies alors que les consonnes occlusives placées à l’initiale présenteraient une forte explosion. Ces deux traits ne sont pas présents chez cette locutrice lorraine, par contre on peut les observer chez la locutrice alsacienne de l’enregistrement ”Résidence Universitaire”:

oui oh mais ça c’est des Françaises, ça.
elles ont leurs papiers, elles font leurs cours, hein?
c’est plutôt euh la façon de boire, quoi! et encore ce serait du bon vin? mais alors le vin de table là, vraiment, le pinard là lien audio

La prononciation de [ʀ] est très atténuée (reculée et assourdie), quand il est en finale, dans le mot ”alors” notamment:

Puis, j’ai dit: Ben, alors, vous n’avez pas… vous n’avez pas ras-le-bol de faire le cirque, comme ça, autour de la table?
Oh alors, j’ai dit: Bon, ben, je pense que c’est râpé, j’ai dit lien audio

Par contre, elle est renforcée (grasseyée) dans les autres positions:

il était très timide, hein? Il parlait pas, rien lien audio

On constate un certain flottement dans la prononciation des semi-voyelles [ɥ] et [w]: les descriptions de l’accent ch’ti parlent d’une disparition de [ɥ] au profit de [w] (comme on a dans l’accent belge), mais dans cet enregistrement, on peut trouver des [ɥ] prononcés [w], d’autres prononcés [ɥ] et même des [w] prononcés [ɥ]:

J’ai dit: «Je vais partir huit jours, j’ai dit, on va faire un essai de huit jours».
Elle dit: «Quoi?» «Ben, je lui ai dit, oui XXX lien audio

Un phénomène bien connu de l’accent ch’ti (mais qui ne lui est pas propre, c’est en fait une caractéristique du français populaire en général) est la disparition des consonnes liquides situées immédiatement après une consonne occlusive:

je venais de perdre euh euh… je venais d’être veuve.
on était à table avec les enfants
Ils étaient à la fenêtre, ils guettaient. lien audio

Élisions
Les élisions sont très fréquentes, comme en français parisien ou plus généralement en français populaire. ”Et puis” est prononcé systématiquement ”et pis”, ”quelque chose” est toujours prononcé [kɛkʃoz]; le pronom ”tu” est élidé devant voyelle, ”il(s)” devant consonne et ”ils” est prononcé [iz] devant voyelle:

Et puis il m’a appelée dans la cuisine
Alors, sur le coup, il m’a regardée, puis j’ai dit: «J’ai quelque chose qui va pas?»
Ah, il dit, comme toi tu aimes bien euh…
Il voulait pas me laisser, il voulait pas que je reste toute seule.
Ils étaient à la fenêtre, ils guettaient. lien audio

Accentuation
Les descriptions du français ch’ti mentionnent une accentuation spéciale, différente du français standard. Il s’agit d’un accent initial sans valeur d’insistance, alors que l’accent normal du français est sur la dernière syllabe du groupe rythmique et que c’est seulement les accents d’insistance (émotif ou didactique) qui se placent sur la première syllabe. On rencontre cette accentuation à plusieurs reprises chez notre locutrice lorraine, mais est-ce vraiment une manifestation de cette accentuation ch’ti sans valeur d’insistance? C’est difficile à dire, car ces passages correspondent à des parties dialoguées, où la locutrice met beaucoup d’emphase et ”joue au théâtre”:

Ben j’étais pas trop équipée, alors il y a ma fille qui était euh au balcon me dit: «C’est x un problème, maman? – Ben, je dis, tu m’envoies les baskets, puis le j- le jogging, parce que je crois que je peux pas aller en talons». Alors de la fenêtre du quatrième, ma fille m’a envoyé un sac avec les… les baskets et puis le jogging. lien audio
Puis, il m’avait rappelée, puis j’ai dit: «Tu voulais savoir quoi? – Ben…» Et il m’a dit: «Je voulais savoir euh qu’est-ce que tu penses faire? – Ben, j’ai dit, quand tu veux, tu viens me chercher; tu veux pas venir me chercher, tu viens pas, j’ai dit, mais si tu viens me chercher, il y a pas de problème, moi, j’arrive. – Ah bon? comme ça?, qu’il me dit, – Ben, oui, quand tu veux!» lien audio
J’avais appelé madame euh Mi-… Michèle Lambert euh pour lui dire que j’étais chez Daniel. Elle dit: «Quoi?» «Ben, je lui ai dit, oui XXX je suis chez Daniel, je fais un essai, je vous tiendrai au courant si… lien audio

On remarque aussi que ces passages (surtout les deux premiers) correspondent à une augmentation du volume sonore. On pourrait donc rapprocher ce phénomène de la remarque sur la forte explosion des consonnes occlusives initiales, caractéristique de l’accent germanique.

Pour ce qui est de la mélodie (les schémas intonatifs), elle est assez standard, bien que très expressive, avec des petites montées, des grandes montées ou des chutes conclusives sur la dernière syllabe des groupes rythmiques. Il n’y a qu’un exemple où c’est l’avant-dernière syllabe qui porte l’accent et une forte montée intonative, suivie d’une forte chute sur la dernière syllabe, ce qui évoque l’accent des Alpes (Suisse et Savoie):

On est x à table, on reste à table, on fait pas ça, je dis, c’est pas bien! lien audio

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