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Vie parisienne

Un homme de 61 ans est interviewé à propos de ses jeunes années dans le Paris des années 1950. Il raconte ses différents emplois et finit sur son expérience de “danseur mondain”, et son récit est entrecoupé de conseils aux touristes de Paris et d’une tentative de définition de “la vie parisienne”.

Son accent est assez marqué par l’influence de ce qu’on appelle le “parisien des faubourgs” ou le “titi parisien”: on remarquera entre autres choses que son intonation est traînante, notamment sur l’avant-dernière syllabe des groupes de mots, plus appuyée que celle du français standard. Par ailleurs, les /r/ sont souvent prononcés de façon assez, voire très gutturale, sauf en fin de mots où “autre” devient “aut'”.
Le vocabulaire du locuteur est symptomatique d’un lieu (Paris) et d’une époque (fin des années 1940, début des années 1950) particuliers: les expressions “les petites filles” ou encore le “dancing” font datées pour le locuteur contemporain. Le niveau de langue est globalement familier (“boulot”, “potes”) mais c’est surtout la prononciation qui fait populaire : soit prononcé “souaille” ou Arc de Triomphe prononcé “trionfle”. Débit: 231.4 mots/min.

  • Première partie: La vie parisienne [00:00 → 01:04]

On (n’) était pas un orchestre, vous voyez, de vedettes. J’étais pas payé … euh… comme on est maintenant, hein? C’était pas un orchestre renommé, hein, c’était entre copains.

Paris (1)

  • Deuxième partie: Les monuments parisiens [01:04 → 03:04]

L’Arc de Triomphe, la Tour Eiffel, bon ben, c’est tout, mais ça c’est pas la vie parisienne, ça c’est les monuments parisiens, ça, c’est tout.

Paris (2)

  • Troisième partie: Le danseur mondain [03:04 → 06:32]

Eh ben, bien souvent quand on a vingt-deux ans, et puis qu’on a une femme de soixante-et-un ans ou soixante-deux ans dans ses bras, ben c’est le danseur mondain.  Ça, c’est… c’est le travail qu’il faut voir.

Paris (3)

Vie parisienne (1)

enregistrement

Ma… mais ma vie, vous voyez, si je… je… vous réécoutez la cassette, elle a été… elle a été bien pleine, hein? Bon mais tout ça, je faisais quand même mon boulot entre deux, parce que le… le soir, j’étais dans un orchestre, mais dans la journée, je travaillais. On (n’) était pas un orchestre, vous voyez, de vedettes, j’étais pas payé euh comme on est maintenant, hein? C’était pas un orchestre renommé, hein, c’était entre copains. Il y avait un batteur, il y avait un pianiste, et moi, qui… et un accordéoniste c’est tout. Alors moi, j’étais comme batteur. Il y avait mon pote qui était accordéoniste et puis un autre qui était à euh… au piano. On (n’) était qu’à trois euh bon ben, on… on faisait aussi des bals, des petits bals populaires entre deux parce qu’il fallait quand même avoir un petit peu de sous, aussi. On (n’) était… on (n’) était pas beaucoup payé dans ce temps-là, hein? On était payé à la soirée alors euh il fallait bien gagner sa vie, et puis il fallait bien manger. Et puis en plus de ça, il fallait bien boire, puis il fallait sortir les petites filles. Ah, ça coûte cher, vous… vous savez, vous coûtez cher, les filles, hein? Et que ça soit de mon temps euh… ça coûtait cher, hein? Ah ben, il faut… il faut quand même vous inviter au restaurant, et tout ça et après, c’est le bal, c’est… puis c’est… puis c’est la suite, quoi. Alors euh vous savez ça, c’est… mais c’était la vie parisienne.

Paris (2)

Vie parisienne (2)

enregistrement

C’est pour ça que quand il y en a à Paris, comme des touristes qui viennent à Paris, qui viennent visiter Paris, qu’est-ce qu’ils vont voir? le Panthéon, la Tour Eiffel. Non, mieux vaut qu’ils aillent voir les bas-fonds de Paris, qu’ils aillent du côté de la République, les Arts-et-Métiers, la Bastille, qu’ils aillent dans les bals musette, s’il y en a encore, j’espère qu’il y en a encore, mais le… la rue de Lappe, je sais qu’elle existe encore, je l’ai vu à la télévision il y a pas longtemps, le Bal à Jo. Eh ben, vous… là, vous voyez la vie parisienne, tandis qu’autrement, vous voyez la vie parisienne-snobisme. Euh les grands… les grands trucs vous savez, c’est pas là qu’on… on arrive à… à voir dans… dans une grande ville comme ça, la vie parisienne. Ou alors allez faire les catacombes de Paris, visitez les catacombes de Paris, c’est très joli aussi. Vous avez les catacombes, vous vous croyez euh… vous avez les noms de rues comme… comme si vous étiez en surface, hein? Si vous êtes euh au-dessus de la Roquette, eh ben vous avez Rue de la Roquette, vous avez… vous avez des rues euh euh c’est magnifique à visiter. Mais euh d’aller voir le Panthéon, qui c’est qui y a pas été? L’Arc de Triomphe, la Tour Eiffel, bon ben, c’est tout mais ça c’est pas la vie parisienne, ça c’est les monuments parisiens, ça c’est… c’est… c’est tout. Mais c’est la vie parisienne qu’il faut voir, et ça, ça c’est autre chose, et d’aller la voir la nuit. Et en plus de ça, ce que vous verrez plus, qui était très joli avant, ça vous le verrez plus parce que c’est fini, ce… c’étai(en)t les Halles à Paris. Ça les Halles à Paris, c’était la vie parisienne, vous voyez les forts des Halles et tout ça. Ça aussi, je l’ai fait, décharger les camions la nuit, de légumes et tout ça. Vous savez je… je… il y avait 
pas de sot métier du moment qu’on gagne son argent honnêtement. Il y a pas de sot métier, et ça il faut le faire, il faut gagner son argent. Ben on fait n’importe quoi. Pas voler, la seule chose qu’il faut pas faire c’est de voler. Vous en gagnez moins peut-être, hein, ça vous la gagnez moins, mais elle a été gagnée honnêtement. Alors euh moi euh vous voyez euh je sais… je sais plus quoi vous dire parce que je suis ar-… je suis arrivé presqu’au bout de mon rouleau pour vous dire, hein? Euh mais c’é-… c’était une belle vie, la vie parisienne. C’est pareil, les Halles, il y avait des petits dancings, il y avait…

Paris (3)

Vie parisienne (3)

enregistrement

Oui j’ai fait le danseur mondain aussi, si vous voulez. Ça aussi, je l’ai fait. Mais le danseur mondain, ça c’est une autre chose. Vous voyez, ça c’est… c’est… c’est… c’est une /classe, place/, c’est x aussi prendre de l’argent, mais euh il faut le vivre, hein? Il faut se… Croyez-moi, il faut le vivre c’est… c’est… c’est des choses que… on… on voit peut-être plus maintenant. On… ça se voit plus, mais dans le temps euh j’avais un copain qui était à… à Montparnasse et il m’appelait il me disait: «Jean j’ai un client… une cliente pour toi». Euh et il fallait que je fasse le euh vous savez, du commencement jusqu’à la fin, si vous voyez ce que je veux vous dire. Alors des fois euh eh ben, bien souvent quand on a vingt-deux ans, et puis qu’on a une femme de soixante et un ans ou soixante deux ans dans ses bras, ben c’est le danseur mondain. Ça, c’est… c’est le travail qu’il faut voir. Ben, il faut faire du cinéma, il faut croire qu’on a Brigitte Bardot dans les bras. C’est la vie. C’est ça. Ça, c’était la vie parisienne. C’est… c’est… ben on… on… vous tracassez pas, on le faisait pas pour rien. Ah non, non, non. Tout se paye. Mais c’était gagné honnêtement. Ah c’est ça. //// Bon alors, on… on… un danseur mondain, bon, quand il danse euh naturellement c’est pas…, vous voyez, c’est de la… c’est de la haute société, hein, qui vient au… A ce moment-là, ils arrivaient avec la Rolls, chauffeur et tout euh et puis ils viennent incognito. Vous leur demandez pas qui ils sont ni rien du tout, hein, ça d’a-… d’ailleurs ils ne vous répondraient pas, et ça serait fini pour vous, hein? Vous devez être discret au possible. Bon ben, après le bal euh elle vous invite encore en boîte euh euh dans un restaurant pour euh souper, euh c’est toujours elle qui paye, hein? Tout, tout x est payé. Tous ces frais, c’est elle qui paye, après elle vous invite chez elle naturellement. Ça, c’est la vie. C’est… ça a pas changé, hein? Euh je… puisqu’on me force à vous le dire, je vais vous le dire. Bon ben il fallait que je fasse la nuit. Ah ah. Bon alors la seule chose qu’il y avait bien souvent, c’est que, bon ben, quand on avait fait ce qu’on devait faire euh Madame… Madame se… se… s’en allait et elle allait coucher dans sa chambre, hein? Alors euh donc moi, je passais la nuit et puis un jour ben ça m’est arrivé que, eh ben, il y a la bonne qui est arrivée avec son… son plat pour mon petit déjeuner le matin, mais elle était tellement belle que, avec la nuit que je venais d’avoir passé avec une femme qui en avait soixante, vous savez, ça m’a… ben ça… ça m’a stimulé. Alors ben, ben, la bonne euh allez hop! Et puis le midi… le midi… je… bon ben, parce que je me suis pas levé de bonne heure euh j’avais passé toute la nuit euh, vous voyez un petit peu le travail, plus la bonne le lendemain matin, j’étais plutôt fatigué, donc je me suis pas levé de bonne heure et je m’en rappelle… ça m’est arrivé qu’une fois, hein? ce… cette chose. J’ai eu… bon je suis rentré avec cette femme que j’avais été au bal la nuit. Le lendemain matin, ça a été la bonne et quand on est passé à table après, il y avait sa fille. Ah j’ai… une déesse, alors euh ben, ben oui, quand je suis ressorti et ben ben oui, hé, la fille aussi! Et… et ça, c’était la vie, mais ça j’étais pas payé, hein? Ni pour la bonne, ni pour la fille, hein? Ça, j’ai pas été payé. La mère était là, elle a rien dit du tout, hein? Ah elle était consentante. Et ça, c’était comme ça que ça se passait à Paris. Ah, croyez-moi, hein? c’était une bonne vie, mais on… on… on vivait, on se marrait et quand on se retrouvait avec les copains, on était à quatre copains, hein? bon ben, on disait:

-Dis donc, tu as… tu as eu quelque chose, toi, cette nuit?

-Ben oui, j’ai fait une cliente, tiens!

Eh ben, si on avait trois sous, [sifflement] allez hop, on allait bouffer tous les quatre au restaurant. Ah ça il y a pas de problème, hein? Il y avait pas plus de sous pour moi que pour les autres, hein? Non non non non non non. On était vraiment quatre… c’étai(en)t même pas des copains, on était quatre frères pour dire, hein, tellement on s’entendait bien.

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