Lentilles 4

enregistrement

Bref, j’abrège encore, et me voici dans la cour de l’immeuble que j’habitais. Cette cour, bien exposée au sud, était ⍽ une véritable merveille d’ensoleillement: plate, bien exposée, quoi de mieux que d’y mettre mon tout de lentilles? Et selon les conseils paternels, il fallait bien les étaler, bien les étendre sur le linceul afin que chaque tige puisse emmagasiner sa quantité de chaleur solaire. Car le père devait contrôler tout cela le soir. Et voici qu’à midi, mes belles lentilles, exposées au soleil, se gorgeaient de chaleur. Le repas de midi se passait en toute quiétude lorsqu’on entendit un appel, un appel angoissé, effrayant: «Vite! Au feu!» Nous nous penchâmes à notre balcon, et qu’ai-je vu? Mes lentilles, embrasées dans une seule flamme. Evidemment, un monsieur ou un jeune homme, n’ayant pas fait attention, a lancé son mégot au beau milieu de mes lentilles. Ce ne fut plus qu’un embrasement. Mon père à mes côtés, conforme à son personnage, commença ses imprécations, ses blasphèmes, ses colères contre tout le monde, y compris contre lui-même, et moi-même, intérieurement, je l’approuvais. Je blasphèmais, je tempêtais, je ne décolérais pas, car enfin – et c’est là que mon histoire de lentilles est une véritable prise de conscience – je compris qu’il n’y avait pas d’effort vain et qu’il ne pouvait pas en exister. Compte tenu de tout ce… de toutes mes dépenses depuis le mois de mars, et voyant le résultat auquel j’étais parvenu, je pensais que ma colère était ⍽ extrêmement légitime, et je commençais enfin à comprendre mon père, mais j’avais déjà un pied au monde des adultes.

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