Archive for Belfast

Belfast

Une jeune femme, originaire du sud de la France et issue de l’immigration d’Algérie, raconte avec animation son voyage à Belfast. Elle est assistée d’un interlocteur qui intervient très peu.

La locutrice a un léger accent que les linguistes appellent “langage des jeunes”, “langage des banlieues”, généralement associé et réduit (à tort), dans l’imaginaire collectif sociolinguistique, au parler des deuxième et troisième générations de l’immigration maghrébine en France.
Chez la locutrice, cet accent est plus fort que son accent du sud, plus subtil (on le note quand même sur la prononciation du mot “rose” notamment).
Cet accent “des jeunes” se caractérise essentiellement par un rythme particulier: l’articulation est très ouverte (on le note par exemple avec les voyelles ouvertes, notamment les /a/) et l’accent tonique qui porte le plus souvent sur l’avant-dernière syllabes (“professeur”, “Algérie”), la mélodie est syncopée. Les [R] sont légèrement plus gutturaux et le son [“je”] est parfois affriqué [“dje”]. Le niveau de langue hésite entre familier et très familier comme le montre la présence de mots d’argot et de gros mots (“putain”, “merde”, “enfoiré”). Le débit de la locutrice est extrêmement rapide: 280 mots/min.

  • Première partie: Préparatifs de départ [00:00 → 01:54]

Donc je devais partir en Algérie, tu vois. Putain, le douze, je reçois la lettre. Bon, c’est bon, quoi, je partais plus! Et entre-temps au mois de mai, j’avais discuté avec Philippe en lui disant euh… il savait que je devais normalement partir en Algérie mais comme c’était pas sûr, je lui avais dit: «Tu veux pas qu’on parte en Irlande et tout?»

Belfast (1)

  • Deuxième partie: Un voyage mouvementé [01:54 → 05:22]

Et puis dans le car en plus, tout était plein, tu vois, tu pouvais même pas te mettre sur une autre banquette pour t’étaler et tout. On avait le walkman. J’avais même emmené Camus, La Peste et tout, de Camus. Oh non! je craquais. J’en pouvais plus, j’étais là: «Philippe, jamais on arrive et tout!»

Belfast (2)

  • Troisième partie: Belfast et Londonderry [05:22 → 08:33]

Le lendemain: bombe. On regarde les informations, puis tout le monde le savait, tu vois, je suis sûre qu’en France ils en ont parlé, et tout. Euh je dis: «Il faut que je téléphone à ma mère, hein? Elle va flipper, hein?»

Belfast (3)

Belfast (1)

enregistrement

– C’est-à-dire que voilà, jusqu’au dix euh… je m’étais donné jusqu’au dix juin pour être sûre de partir en Algérie et euh le douze, j’ai reçu la lettre euh d’un de mes amis chez qui je devais aller là-bas, me disant que bon euh c’était pas possible parce que lui, il venait en France en juillet. [mm] Finalement, il est même pas venu. Il devait venir en juillet, il est pas venu, il devait venir en… en octobre, il est pas encore venu. Il va certainement débarquer bientôt, tu vois. Je te le présenterai d’ailleurs parce que c’est x un sociologue et tout.

– Mais il vit à Aix?

– Non, non, il est euh professeur de… de socio à Annaba.

– Mais euh le le truc que j’avais vu le euh… le document que j’avais vu sur ton bureau, là, c’est pas lui qui l’a écrit?

Si, c’est lui.

– Oui.

– Et euh donc je devais partir en Algérie, tu vois. Putain, le douze, je reçois la lettre. Bon, c’est bon, quoi, je partais plus! Et entre-temps au mois de mai, j’avais discuté avec Philippe en lui disant euh… il savait que je devais normalement partir en Algérie mais comme c’était pas sûr, je lui avais dit euh: «Tu veux pas qu’on parte en Irlande et tout?» Enfin non, je fais: «Tu veux pas qu’on parte ailleurs, qu’on sait jamais si je pars pas?» Il m’a dit: «L’Irlande, ça te dirait?» Je fais: «Ouais, pourquoi pas?» Moi, je m’en foutais, tu vois. Tout pays… tout pays est intéressant à voir, quoi. [mm] Puis parlant comme ça euh… il y a eu les examens, tu vois, donc on s’est pas revus de trois semaines, hein, chacun son boulot et tout. Je suis revenue le quinze. Je lui dis: «Bon, je pars plus et tout». Euh d’accord, le vingt-sept, on a acheté les billets. On savait pas encore que… si euh… comment on partait le vingt-sept juin.

– Le vingt-sept juin, oui.

– On est partis le trois euh juillet de Paris.

– XXX

– Mais je te dis pas, hein? Mais lui, je le connaissais bien, tu vois. Il y a pas eu de problèmes entre nous. Bon, parfois, si, des tensions, mais c’est normal, hein? Euh ça peut pas être /tout le temps rose, tout en rose/ hein? Je veux dire, il y a des fois où tu t’énerves pour un rien, donc tu vas trouver un défaut qu’il a jamais eu et que tu lui trouves maintenant, quoi.

– Tout à fait, tout à fait.

– C’est le genre de gars avec qui je repartirais quoi. Euh il y a aucun problème euh un mec super, quoi, hein? Puisque je le connaissais bien, donc il y a pas eu de problème, quoi.

– Et vous aviez acheté euh euh un Guide du Routard?

– Oui, on avait les guides.

– Vous avez consulté le Guide du Routard?

– Ouais.

Belfast (2)

Belfast (2)

enregistrement

– Tiens, je m’en rappelle et tout. Euh lui, il était déjà à Paris quand moi je suis arrivée à Paris, parce qu’on partait que le lendemain.

– mm

– Oh et je lui avais dit: «Viens me chercher à la gare et tout, hein?» parce que tu sais, je veux dire, trouver comment aller à Noisy-le-Grand à onze heures du soir (j’arrivais à onze heures, tu vois, c’est pas évident, tu vois

– Oui /oui, mm/

– ou… ou dix heures). J’arrive sur le quai. Alors c’est grand et tout, alors je vois personne, hein? Et mon sac et tout [rires] je commençais à flipper et tout. Je dis: «Ça y est, il est pas venu, s-… enfoiré». J’avais même pas le…, ah oui, j’avais le numéro de téléphone. Et d’un coup, je le vois au fond du quai. Il m’attendait, assis sur le banc du quai, et tout, je dis: «Alors? je t’avais donné le numéro du wagon et tout!» Il me dit: «Je savais …», mais pendant un quart d’heure, j’ai dit: «Ça y est, là, c’est mauvais, mauvais». Dans le… oh après, en arrivant à Amiens, on prend le car le soir, le lendemain, le soir à neuf heures, on prend le car à la porte de la Villette, on arrive à Amiens. On allait sur Calais, quoi, hein? Le mec, il dit en anglais et tout… – c’était un chauffeur anglais en plus, alors tu imagines on (n’) a rien compris. Moi, ouais, une demi-heure d’arrêt et tout je dis: «C’est bon, il a dit qu’on avait du temps». On s’arrête, on commence à bouffer – sortir les sandwichs et tout, on s’était fait des sandwichs et tout -, d’un coup, on voit le car passer qui s’en va, tu vois. On était à peine à Amiens, tu sais, on (n’) avait même pas traversé la France. Alors je dis: «Philippe, je crois que c’est notre car, hein?» Il fait: «Non et tout, c’est pas vrai …» Puis quand même, tu vois, je… je… je me suis dit: «C’est… c’est notre car!» Putain, d’un coup, je prends le /X, sabre/ à la main, le sac et tout, puis je cours, et tout je… au chauffeur et je dis: «Hé! Attendez-nous, et tout!» Le car, il était presque déjà sur l’autoroute, tu vois, enfin je veux dire, il prenait la grande avenue pour partir. Eh, il nous a juste… il nous… bon il s’est x arrêté, hein, tu vois, et il nous a dit: «Et alors?» J’ai dit: «Une demi-heure, c’est x une demi-heure!» C’est x un peu comme un car de ligne, tu vois. Je veux dire, le mec, il doit être à Londres à telle heure. Voilà, toc.

– Donc, Paris euh Londres en car.

– Voilà.

– Ah oui.

– Ah, ferry-car, quoi, hein?

– Et ça a pris combien de temps?

– On est partis… on est x arrivés euh vers sept heures et demie du matin à Londres. On a attendu une demi-heu-… une heure.

– Et de Londres après vous avez pris le…

– On a pris un autre car qui nous a emmenés jusqu’à Stranraer.

– Ouais.

– On est arrivés euh vers cinq heures à Stranraer. Le ferry pendant une heure et demie, qui nous a amenés donc à Belfast, quoi, enfin euh un peu plus… voilà. C’était long, hein?

– Et après vous êtes euh… vous avez campé?

– Après, voilà, après, bon, c’était bon, quoi. Après on a campé mais ça faisait long quand même, hein, comme voyage, hein? Mais putain, déjà, ça y est, on /partait XXX, ratait XXX/! J’étais folle, alors, au mec, j’ai expliqué en français et tout: «Ouais, là, mais monsieur on était en train de manger les sandwichs et tout, euh j’avais rien compris». Et puis dans le car en plus euh tout ⍽ était plein, tu vois, tu pouvais même pas te mettre sur euh une autre banquette pour t’étaler et tout. J’avais mal au dos, j’étais mal, et tout, et un peu comme ça, et un peu comme ça. On avait le walkman. J’avais m-… même emmené Camus, La Peste et tout, de Camus. Oh euh non, je craquais. J’en pouvais plus, j’étais là: «Philippe, jamais on arrive et tout!» Ah, putain, pas lavés! Bon en plus on fu-… on s’arrêtait, on fumait une clope et tout. Euh sur le ferry on avait bu un petit peu pour s’habituer, tu vois, on s’est dit il faut un avant-goût. Putain, on est arrivés au camping, on a planté la tente, on a pris une douche! …

– À Belfast.

Ouais, putain, on a pris une douche! … Oh, je suis restée au-moins une demi-heure sous la douche. Putain, mais tu es en vacances, quoi, je veux dire, c’est cool, hein? Je te jure, c’est trop cool.

-Tu acceptes beaucoup de trucs, quoi. —

Belfast (3)

Belfast (3)

enregistrement

Le lendemain, on va à Belfast: bombe.

– Bombe.

Je dis: «Il faut que je téléphone à ma mère. Ma mè-… ma mère /elle, ø/ voulait pas, hein? Ma mère m’a dit: «Vous êtes fous! Vous allez à Belfast, et s’il y a une bombe?», je lui dis: «/Où, Oui/, une bombe, maman … N’importe quoi, tu en vois de partout, toi!» Je lui dis: «Voilà où on sera», alors ma mère elle me dit: «Donne-moi tout ton itinéraire». Je lui dis: «Mais j’en sais rien, maman, où je vais, je vais en Irlande! Laisse-moi tranquille, tout ce que je peux te dire, c’est que tel jour on sera à Belfast, après …, et tel jour on rentre». Je lui avais même pas dit à… quand x on rentrait à ma mère, pour te dire. J’ai dit: «Ouais, fin juillet, quoi».  Le lendemain: bombe. On regarde les informations, puis tout le monde le savait, tu vois, je suis sûre qu’en France ils en ont parlé, et tout. Euh je dis: «Il faut que je téléphone à ma mère, hein? Elle va flipper, hein?»  En plus, je lui dis: «Ouais, moi je compte aller voir les quartiers catholiques, là où il y a les bombes et tout». Tu sais, ma mère, elle flippait, hein? Je lui ai téléphoné quinze jours après, à ma mère, mais elle s’était pas trop inquiétée, c’est bon. D’Irlande, j’ai téléphoné: «Allô maman?» et tout. «Oh, ma fille et tout, alors comment ça se passe et tout?» /oui, je dis/ «Tout va bien? Vous ne manquez de rien? (Oh, en voyage, vous ne manquez de rien?) – Eh non ça va euh on a tout ce qu’il faut euh – Mais tout se passe bien? euh».  –Elle flippait qu’on fasse du stop. —

– Moi je crois que ma mère elle me tue si XXX

– Moi au début, je lui ai pas dit, je lui ai dit quand on est rentrés. «Ah, elle fait, comment vous avez fait en voyage? – J’ai fait tout en stop – Quoi? – Euh, ouais, à peu près, quoi, je veux dire sur les grandes… grandes lignes, quoi, hein?» Ah, mais, tu rigoles, hein? Tu sais, tu flippes quand même parce que tu arrives à Belfast comme ça, le mec il me dit: «Tiens, c’est là euh… c’est là que ça a explosé ce matin». Tu regardes, tu te dis: «Mais putain merde! J’étais à quatre rues!» Je veux dire, moi, j’étais dans le quartier catholique quand elle a explosé. Oh, j’étais pas dans cette rue mais j’aurais très bien pu y être, hein? Tu dis quand même, bon, ça craint, quoi. Après on est passés à Londonderry quatre, cinq jours, après le jour de fête nationale chez les protestants. Manifestation protestante dans la rue et tout. Tu sais, manifestation culturelle. Contre-manifestation catholique. On arrive. Carrément il y avait presque les mecs qui se battaient, et tout. Flics, soldats, et tout … ça craint l’Irlande! D’ailleurs en Irlande du Nord, ils appellent ça Londonderry, mais en Irlande du Sud, ils appellent ça Derry parce qu’avant, ça s’appelait Derry et quand ça a été annexé euh par les Britishs euh ça s’est x appelé Londonderry, tu vois, pour emmerder euh. Et même certains Irlandais du Sud, ils nous disaient: «Ah! vous êtes allés en Irlande du Nord et tout?» Je fais: «Eh ouais, puis on s’est pas fait tirer dessus, faut pas délirer non plus, hein?» Tu sais parce que je leur dis: «Si vous pensez tout le temps… c’est pas comme ça que vous arriverez à un compromis ou à essayer de vous arranger entre vous si vous avez tout le temps peur les uns des autres, hein?» Euh je fais: «Ouais …» D’ailleurs on s’est plus éclatés dans le Nord que dans le Sud, pour te dire.

Spam prevention powered by Akismet