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Guerre d’Indochine

Un vétéran de la guerre d’Indochine, indochinois de 60 ans né à Hanoï, est interviewé sur son expérience de parachutiste au Tonkin. Il raconte deux anecdotes disctinctes pendant les deux ans et demi qu’il y a passé (de 1952 à 54), et les impressions et les sentiments qu’il a eus sur le moment. Il parle de sa vie d’aventurier et des raisons qui l’ont poussé à s’engager.

Le locuteur a un débit assez lent et hésitant (180 mots / min). Son accent est particulier, c’est un mélange de l’accent indochinois et de l’accent du sud de la France: son intonation est chantante (“le parachuteuh”, “quand on sauteuh”), mais le timbre est nasillard. Les /r/ sont plus gutturaux que ceux du français standard. Par ailleurs, les consonnes fricatives dans les sons /s/ et /ch/ sont douces et un peu chuintées.

Les phrases, courtes, sont souvent juxtaposées et non pas coordonnées (par exemple, “je suis tombé, il y avait juste une flaque d’eau”) et le sujet est souvent dédoublé avec un pronom personnel qui reprend le nom ou le pronom tonique (“L’adjoint, il est mort”, “nous, on a toujours le truc”).

Le niveau de langue est à la fois familier (“un petit coucou”) et technique (“le dorsal” et “le ventral”), dans la mesure où le locuteur utilise le vocabulaire de son expérience d’ancien combattant pour raconter ses anecdotes.

  • Première partie: L’embuscade [00:00 → 04:02]

Il y avait mon fusil mitrailleur qui est mort, l’adjoint, il est mort puis finalement tout le monde est mort, alors moi j’ai pris le fusil mitrailleur et je suis parti à l’assaut avec, et au bout d’un moment, c’est moi qui /ai, est/ tombé.

Indochine (1)

  • Deuxième partie: La méthode du saut en parachute [04:02 → 06:44]

On est entraîné pour, on sait exactement ce qu’il faut faire… Quand on entend la boîte tomber par terre, “tounk!”, on se regroupe “poup!” sinon on se casse les chevilles, hein?

Indochine (2)

Guerre d’Indochine (1)

enregistrement

– J’ai fait des stages de saut. Je /me, ø/ suis payé un stage de saut à Saïgon, ensuite euh une fois que j’ai été breveté, eh ben j’ai eu le brevet, j’ai tout fait pour aller au Tonkin, dans le nord, où c’est… où il y a la guerre, quoi. Alors ben après … Une fois là-bas, ben j’ai fait la guerre, et à dix-neuf ans euh /j’ai été, j’étais/ blessé —

– Alors comment ça s’est passé?

– Ben c’est pendant une embuscade, on a monté à l’assaut, tout ça, bê, bon ben j’avais euh… j’étais euh caporal de… d’équipe, il y avait mon fusil mitrailleur qui… qui est mort, l’adjoint, il est mort, puis finalement tout le monde est mort, alors moi j’ai pris le… le fusil mitrailleur, puis j’ai… je suis parti à l’assaut avec, et au bout d’un moment, c’est moi qui /ai, est/ tombé. — Et après j’ai été rapatrié par avion euh… par un petit coucou, là, comme j’ai dit, comme j’ai dit, un petit coucou que… puis qu’ils nous mettaient des… des… les brancards sous les ailes, et pendant qu’on nous rapatriait sur euh Haïphon toujours, dans le nord de Viêt-nam, ça tirait dans tous les coins, alors je disais: «Oh, une balle ça suffit. Il suffit. C’est pas le moment de recevoir encore une autre, là, par avion». Voilà, après ben, après quand j’ai… j’ai… j’ai été guéri ben, après la convalescence, je suis… j’ai repris le… le service comme tout le monde.

– Et vous aviez été blessé où exactement?

– /J’ai été, j’étais/ blessé dans… dans la poitrine à… à un centimètre du coeur. On m’a laissé tomber. On m’a laissé pour mort puis heureusement que euh j’ai essayé… essayé de… de me faire…

– de vous faire entendre, en fait?

– Ouais, enfin j’ai… j’ai… j’ai dit: «Voilà je suis pas mort euh — rapatriez-moi!»

Ce sont les infirmiers qui étaient à côté de vous qui vous ont rapatrié?

– Oui, oui. C’est x eux. Ouais j’ai été rapatrié, surtout que euh c’était… ça… ça tirait dans tous les coins, hein? C’est… c’est x une embuscade. Oh, je sais pas moi! — Je me suis fait rapatrier par le… par les coolies qui m’ont mis un brancard fait avec des bambous. Ensuite, on m’a rapatrié à la base arrière, et après c’est x une infirmière qui m’a… m’a fait une petite piqûre de… je sais pas, là, une espèce de piqûre pour… pour le mal, et après on m’a laissé comme ça sur le terrain. C’est comme ça. Ça tirait dans tous les coins, quoi.

– Et vous aviez pas peur à ce moment-là?

– Eh, peur non, parce que… plutôt mal. Au début, je… on se sentait rien, mais après, hein, après c’est… ça commençait à faire un peu mal. C’est là que… que euh… que j’ai appelé le… J’ai dit: «Voilà, je suis pas mort. Eh oh — faites quelque chose, moi … rapatriez-moi», parce que c’était dans… en pleine rizière, hein? C’est… c’est dans la boue partout, hein? et il y a… il y en avait, hein? Pff, il y avait des blessés, des morts il y en a partout.

– Et, mais vous avez même pas eu peur quand vous avez vu tous… tous vos camarades tomber à côté de vous?

– Non, la peur, non, non. La peur, franchement, la peur, c’est impossible. Nous, on a toujours le… le truc, on parle: l’odeur de la poudre, ça rend fou parce que quand… quand c’est la guerre… guerre euh, la peur, c’est quand ça tire pas beaucoup, mais quand ça tire, là, beaucoup, il y a plus de peur, parce que on devient… c’est l’odeur de la poudre, on devient fou, quoi, c’est tout, hein?

– Et c’est ça une vie d’aventurier, en fait.

– Et voilà, c’est l’aventure, c’est tout, et j’aime bien l’aventure parce que je suis rentré dans l’armée, parce que l’aventure, parce que euh c’est le seul moyen de… de voir du pays à droite à gauche, et je regrette rien parce que j’en ai vu pas mal, hein? J’ai fait presque tout le tour de la terre, hein?

– Et en fait euh la guerre d’Indochine, vous l’avez faite combien… pendant combien de temps?

– Je l’ai fait comme… comme euh tout le monde: deux ans et demi, quoi.

– Il a dû vous arriver plein de choses pendant cette guerre?

– Eh oui, bien sûr, il y a beaucoup euh…

Indochine (2)

Guerre d’Indochine (2)

enregistrement

– Quoi? Qu’est-ce qui vous est x arrivé, encore? Je sais pas, racontez-moi un… un saut en parachute, mais de nuit, par exemple.

– Eh ben, un saut, ben, je vais vous raconter une histoire. Peut-être vous me croyez peut-être pas, mais … Quand j’ai sauté là-bas, à Hoan-… à Hoan-My, et je suis tombé, il y avait juste une flaque d’eau, et il a fallu que ce soit moi qui tombe dessus, en plein dans la boue, et il y avait mon ceintu-… mon bidon qui m’empêchait de dégrafer mon parachute, et ça tiraillait partout, hein, et finalement euh j’ai mis pas mal de temps pour retrouver le… mon groupe, hein? Et le… le… le seul(e) mare d’eau, c’est moi qui /ai, est/ rentré en plein dedans.

– Et vous /on, ont/ cama-… et vos camarades vous ont pas aidé à ce moment-là?

– Ah non, mais chacun pour soi. Oh c’est… c’est… ça tirait partout, hein? Enfin c’était pas grave. Ouf! c’est… c’est… c’est comme ça, quoi. C’est… il y en a qui tombent dans les arbres, il y en a qui tombent dans la boue, il y en a qui… Ça, c’est… c’est le parachutiste, hein? C’est tout, hein? C’est parce que nous, quand on saute là en Indo, c’est… c’est pas la pa-… c’est pas le parachute civil, hein?

– Mais une fois, vous avez pas eu peur de rester coincé avec votre parachute?

– Non, non, non, non, on est… on est entraîné 
pour, on sait exactement ce qu’il faut faire, hein, quand on est… Supposons qu’on… si… si on s’est accroché dans l’arbre, on sait exactement qu’est-ce qu’il faut faire pour… pour redescendre, quand même.

– Qu’est-ce qu’il faut faire?

– Ben, il faut /ah, a-/… dégrafer son parachute de secours, et descendre par le parachute de secours, par le ventral, quoi, c’est-à-dire le parachute ventral. On descend, ça fait quand même euh pas mal de mètres.

– En fait il y a deux parachutes?

– Oui, on a un parachute dans le dos, le dorsal, et le… le ventral, c’est le… celui de secours, alors si vous… supposons si le dorsal ne s’ouvre pas, vous ouvrez le… le ventral, c’est le parachute de secours, mais quand vous tombez dans l’arbre, vous êtes accroché, alors vous ouvrez le parachute euh du ventral, ça vous fait presque une corde pour descendre en… par terre, alors vous tombez tranquille. Parce que les films comme ils disent, ça, accroché… accroché à l’église de machin, c’est pas vrai, hein, parce que le type, il est dans les pommes.

– Et de nuit, vous avez des… des repères pour… pour savoir où c’est que vous atterrissez?

– Ah oui, nous, bon ben, nous, bon bon, les combinards on… on atta-… on attachait avec un bout de ficelle, avec une boîte de conserve, alors quand… quand la boîte, quand on entend la boîte tomber par terre «tounk!», on se… on se groupe «poup!», on sait que… sinon, hein? sinon on se ca- on se casse les chevilles, hein? hein? Vous savez, il y a des combines partout …

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