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Pâté chinois

Trois Québécois sont interviewés sur le pâté chinois (connu en France sous le nom de “hachis parmentier”, lointain cousin du shepherd’s pie). Parmi les locuteurs qui répondent aux questions, il y a un cuisinier, une diététicienne et un anthropologue. Après avoir abordé l’apparence et les recettes possibles du pâté chinois, les participants s’intéressent aux enjeux idéologiques, sociaux et culturels du pâté chinois.

Les locuteurs parlent avec beaucoup d’humour et d’animation. Ils ont tous un accent québécois assez prononcé. On le remarque aux voyelles nasalisées et à la grande ressemblance des [in], [on] et [an] (“suffisamment”, “tranché”), ainsi qu’à l’affrication des /t/ et /d/ qui deviennent [ts] de [dz] devant les [i] et les [u], par exemple “du”, prononcé [dzu]. Le niveau de langue est relativement familier: on notera entre autres l’utilisation du ponctuateur “là” rattaché en fin de phrase (“soyons honnêtes, là”). Les deux hommes ont un débit moyen (215 mots / min.) alors que la femme parle très rapidement (260 mots / min.)

Enregistrement

  • Première partie: L’apparence du pâté chinois [00:00 → 01:43]

Pour moi une des horreurs du pâté chinois, c’est son apparence une fois que c’est rendu dans l’assiette, c’est dégueulasse… ça a l’air du vomi, soyons honnêtes, là.

Pâté chinois (1)

  • Deuxième partie: Symbolique du pâté chinois [01:43 → 03:06]

Est-ce que vous trouvez que le pâté chinois justement, c’est un ciment national ou qu’au contraire, si vous voulez partir une guerre entre Québécois assis autour d’une table, demandez-leur leur recette de pâté chinois. Ciment ou objet de discorde?

Pâté chinois (2)

  • Troisième partie: Pâté chinois et pensée totalitaire [03:06 → 04:28]

Ce qui me frappe d’abord quand on regarde un pâté chinois, c’est l’extraordinaire rigueur avec lequel c’est mis en ordre… C’est carrément du lavage de cerveau: “Steak, blé d’inde, patates, steak, blé d’inde, patates!”

Pâté chinois (3)

  • Quatrième partie: Pâté chinois et morale [04:28 → 05:37]

Dans un pâté chinois, tout le monde le sait, on fait le contraire, on inverse l’ordre de la nature… C’est rien de moins que de contester la volonté du Créateur, ça!

Pâté chinois (4)

Pâté chinois (1)

– Mm, Guy F., chez vous, est-ce qu’on mangeait du pâté chinois?

– Ben on (n’) en mangeait pas très souvent, euh, heureusement euh parce que j’ai deux mauvais souvenirs d’enfance, parce que ma mère, qui était quand même assez bonne cuisinière, faisait un pâté chinois assez traditionnel et faisait ce que je considère une horreur totale: une tarte à la purée de pommes de terre

– Aaah!

– Et ça, je vous jure, que ça c’est vraiment un plat pour les prisons chiliennes, parce que {rires} je trouve ça, tu sais, une fois que tu as mangé ça, tu as de la difficulté à parler tellement tout… tout devient pâteux. Donc on (n’) en mangeait pas très souvent, mais moi ce qui me… le… le plus mauvais souvenir que j’ai, et c’est pour ça que quand j’ai fait une recette de pâté chinois… (parce que c’… c’… c’est une espèce de chose qu’on ne doit pas éviter

– Ouais

– euh en milieu québécois), je… pour moi une des horreurs du pâté chinois, c’est son apparence une fois que c’est rendu dans l’assiette, c’est dégueulasse, ça a vraiment l’air, je m’excuse de reprendre, de revenir sur ce que disait le monsieur, mais ça a l’air du vomi. Soyons… soyons honnêtes, là, soyons honnêtes.

– Il faut passer par-dessus, il faut passer par-dessus …

– Donc, c’est pour ça que le pâté chinois que je fais, il est suffisamment dense pour se couper comme une 
terrine, donc au moins

– Ah bon?

– dans l’assiette, tu as ce… ce… ce… ce… ce tranché de pommes de terre euh dans lequel je mets du sumac, donc ça la… ça les rosit un peu /XXX/ mais je… finalement ça a une consistance de terrine parce que…

– {rires} Poly-Fila ciment plâtre {rires}

– parce que, quoi que… quoi qu’on dise pour moi, ce qui apparaît dans l’assiette, quel que soit son goût, là, c’est quand même important.

– Ouais.

– Si, au départ, tu jettes un coup d’oeil dans ton assiette et que tu vois cette espèce de gibelotte de maïs mélangé(e) avec du… des restes de viande avec de la pomme de terre en purée, faut que tu aies joliment faim,

– C’est vrai que ça fait pas tellement nouvelle cuisine.

– même s’il est bon, faut que tu aies joliment faim pour le manger.

Pâté chinois (2)

Pâté chinois (2)

– Ouais, euh mais est-ce que euh… on parlait de ciment. {rires} Est-ce que vous trouvez que le pâté chinois, justement, c’est un ciment national, c’est vraiment un met fondateur dans notre identité, ou qu’au contraire, si vous voulez partir une guerre entre Québécois assis autour d’une table, demandez-leur leur recette de pâté chinois. Ciment ou objet de discorde, Hélène?

– Ben, oh, je pense que c’est euh… Eh mon dieu euh c’est un… c’est un objet de discorde, et Claude Meunier a eu le génie d’en faire une émission euh

– Ouais.

– dans La Petite Vie, mais moi, depuis que je sais que je viens à votre émission Marie-France ce matin, j’en ai parlé euh dans les partys d’Halloween en fin de semaine euh à… à ma voisine ou aux gens que j’ai rencontrés, et euh c’est un plat qui euh ne laisse pas froid, c’est-à-dire qu’il suscite beaucoup de débats, c’est-à-dire il faut absolument faire ça comme ça. Guy est en train de parler de… de son… sa… son aspect terrine dans l’assiette; il y a des gens qui sont complètement contre ça, qui veulent un pâté chinois très très m-… très euh moelleux, très souple. Il faut qu’… il faut… il faut que ça ressemble à tout sauf à une espèce de palette carrée dans l’assiette comme on nous servait peut-être des fois dans les pensionnats ou dans les couvents euh c’est-à-dire

– Ah ouais.

– Est-ce que je peux juste vous arrêter une seconde?

– Oui.

– Parce que finalement, avez-vous 
réalisé que le seul peuple au monde qui fait et qui mange ce pâté chinois est aussi le peuple qui mange de la poutine, qui sont deux plats finalement qui se ressemblent, où tu as vraiment l’impression que ça a été mangé

– Oui, il y a l’étagement.

– avant que tu y arrives …

– {rires} Fin de la parenthèse, j’aimerais que Bernard A. revienne là-dessus tout à l’heure.

Pâté chinois (3)

Pâté chinois (3)

– Oui, mais je m-… ben justement que… ce qu’on vient de dire, c’est que c’est… c’est… ça crée la discorde, c’est m-… c’est pour ça, là, que je trouve ça moi politiquement très inquiétant, le pâté chinois. Ce qui frappe d’abord quand on regarde un pâté chinois, c’est l’extraordinaire rigueur avec lequel c’est mis en ordre.

– Oui, et… et Hélène nous en a apporté dans des plats en pyrex, là, c’est implacable.

– Je me suis forcée, là!

– C’est implacable, c’est un met qui est très très discipliné.

– Ouais.

– Et moi je m’occ-… je pense qu’il y a des traces de pensée totalitaire derrière ça.

– Vous croyez?

– Euh, contrairement à un ragoût… Enfin, là, dans… dans un ragoût, vous avez des légumes qui côtoient la viande, puis vous avez des oignons qui s’étendent sur les tomates

– Oui.

– puis là là, il y a une espèce de promiscuité euh tout à fait démocratique que le chef va venir assurer d’ailleurs en prenant sa cuillère, puis en faisant le tour du ragoût. /Le, Ø/ pâté chinois au contraire, c’est en ordre, c’est la ségrégation tout à fait stricte, et on l’entendait dans votre vox-pop tout à l’heure, l’extrait de l’émission de Meunier, [mm mm] c’est carrément du lavage de cerveau. Je veux dire: “Steak, blé d’inde, patates! Steak, blé d’inde, patates!” c’est comme…

– Ah oui, ça sonne comme un slogan totalitaire, hein?

– Il y a… il y a comme, tu sais, un slogan fasciste derrière tout ça.

– Oui, oui.

– Et quand on dit la discorde, parlez aux… aux amateurs de pâté chinois, vous allez entendre des fondamentalistes, des gens

– Oui.

– qui sont… qui se fient sur leur dogmes et qui sont prêts aux pires atrocités pour défendre leur pâté chinois. Je trouve ça politiquement inquiétant euh et je me demande d’ailleurs si j-… Il faudrait que je fasse une recherche pour voir si… si la lasagne a pas été inventée… (parce que la lasagne, ça ressemble un peu à ça) ça aurait pas été inventé par un conseiller de Benito Mussolini.

– Ouais, ouais, ouais.

– C’est ce genre de… ce genre de met.

– Oui.

Pâté chinois (4)

Pâté chinois (4)

– Pire que ça, maintenant l’a-… l’argument moral

– Oui.

– contre le pâté chinois.  /Le, ø/ pâté chinois, il est contre nature.

– C’est-à-dire?

– C’est-à-dire la nature, l’ordre de la nature, c’est quoi? C’est de mettre, tu sais, des pommes de terre en terre [mm] bon, en-dessous

– En-dessous.

– le maïs pousse sur le dessus

– Oui.

– et le boeuf peut venir piétiner le champ de maïs ou manger les maïs. Dans un pâté chinois, tout le monde le sait, on fait le contraire, on inverse l’ordre de la nature. C’est rien de moins que de contester la volonté du créateur, ça, et moi, si j’étais dans une faculté de… {rires} une faculté de théologie, j’interdirais en tout cas, je m’inquiéterais beaucoup sur le pâté chinois, je l’interdirais.

– Oui.

– Sous un régime taliban, là, c’est le genre d’écart qui ne serait pas toléré.

– Mm mm. Mais en même temps, c’est ça, là, il y a une volonté de contestation en même temps que c’est extrêmement totalitaire, comme i… il y a… il y a vraiment…

– Voilà, alors vous allez… vous mettez le doigt sur ma double inquiétude.

– Oui.

– C’est un met que je regarde avec euh… avec…

– Avec appréhension?

– Avec appréhension.

– Je comprends.

– Ça cache des volontés politiques qui sont peut-être pas tout-à-fait le genre qu’on aimerait tolérer dans une société libre et ouverte. Vive le ragoût!

– Je suis pas sûr qu’on mange beaucoup quand on invite un anthropologue à table avec des considérations comme ça, hein?

– C’est-à-dire que tu as intérêt à ce qu’il fasse pas la cuisine.

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