Vie parisienne (2)

enregistrement

C’est pour ça que quand il y en a à Paris, comme des touristes qui viennent à Paris, qui viennent visiter Paris, qu’est-ce qu’ils vont voir? le Panthéon, la Tour Eiffel. Non, mieux vaut qu’ils aillent voir les bas-fonds de Paris, qu’ils aillent du côté de la République, les Arts-et-Métiers, la Bastille, qu’ils aillent dans les bals musette, s’il y en a encore, j’espère qu’il y en a encore, mais le… la rue de Lappe, je sais qu’elle existe encore, je l’ai vu à la télévision il y a pas longtemps, le Bal à Jo. Eh ben, vous… là, vous voyez la vie parisienne, tandis qu’autrement, vous voyez la vie parisienne-snobisme. Euh les grands… les grands trucs vous savez, c’est pas là qu’on… on arrive à… à voir dans… dans une grande ville comme ça, la vie parisienne. Ou alors allez faire les catacombes de Paris, visitez les catacombes de Paris, c’est très joli aussi. Vous avez les catacombes, vous vous croyez euh… vous avez les noms de rues comme… comme si vous étiez en surface, hein? Si vous êtes euh au-dessus de la Roquette, eh ben vous avez Rue de la Roquette, vous avez… vous avez des rues euh euh c’est magnifique à visiter. Mais euh d’aller voir le Panthéon, qui c’est qui y a pas été? L’Arc de Triomphe, la Tour Eiffel, bon ben, c’est tout mais ça c’est pas la vie parisienne, ça c’est les monuments parisiens, ça c’est… c’est… c’est tout. Mais c’est la vie parisienne qu’il faut voir, et ça, ça c’est autre chose, et d’aller la voir la nuit. Et en plus de ça, ce que vous verrez plus, qui était très joli avant, ça vous le verrez plus parce que c’est fini, ce… c’étai(en)t les Halles à Paris. Ça les Halles à Paris, c’était la vie parisienne, vous voyez les forts des Halles et tout ça. Ça aussi, je l’ai fait, décharger les camions la nuit, de légumes et tout ça. Vous savez je… je… il y avait 
pas de sot métier du moment qu’on gagne son argent honnêtement. Il y a pas de sot métier, et ça il faut le faire, il faut gagner son argent. Ben on fait n’importe quoi. Pas voler, la seule chose qu’il faut pas faire c’est de voler. Vous en gagnez moins peut-être, hein, ça vous la gagnez moins, mais elle a été gagnée honnêtement. Alors euh moi euh vous voyez euh je sais… je sais plus quoi vous dire parce que je suis ar-… je suis arrivé presqu’au bout de mon rouleau pour vous dire, hein? Euh mais c’é-… c’était une belle vie, la vie parisienne. C’est pareil, les Halles, il y avait des petits dancings, il y avait…

Paris (3)

Vie parisienne (3)

enregistrement

Oui j’ai fait le danseur mondain aussi, si vous voulez. Ça aussi, je l’ai fait. Mais le danseur mondain, ça c’est une autre chose. Vous voyez, ça c’est… c’est… c’est… c’est une /classe, place/, c’est x aussi prendre de l’argent, mais euh il faut le vivre, hein? Il faut se… Croyez-moi, il faut le vivre c’est… c’est… c’est des choses que… on… on voit peut-être plus maintenant. On… ça se voit plus, mais dans le temps euh j’avais un copain qui était à… à Montparnasse et il m’appelait il me disait: «Jean j’ai un client… une cliente pour toi». Euh et il fallait que je fasse le euh vous savez, du commencement jusqu’à la fin, si vous voyez ce que je veux vous dire. Alors des fois euh eh ben, bien souvent quand on a vingt-deux ans, et puis qu’on a une femme de soixante et un ans ou soixante deux ans dans ses bras, ben c’est le danseur mondain. Ça, c’est… c’est le travail qu’il faut voir. Ben, il faut faire du cinéma, il faut croire qu’on a Brigitte Bardot dans les bras. C’est la vie. C’est ça. Ça, c’était la vie parisienne. C’est… c’est… ben on… on… vous tracassez pas, on le faisait pas pour rien. Ah non, non, non. Tout se paye. Mais c’était gagné honnêtement. Ah c’est ça. //// Bon alors, on… on… un danseur mondain, bon, quand il danse euh naturellement c’est pas…, vous voyez, c’est de la… c’est de la haute société, hein, qui vient au… A ce moment-là, ils arrivaient avec la Rolls, chauffeur et tout euh et puis ils viennent incognito. Vous leur demandez pas qui ils sont ni rien du tout, hein, ça d’a-… d’ailleurs ils ne vous répondraient pas, et ça serait fini pour vous, hein? Vous devez être discret au possible. Bon ben, après le bal euh elle vous invite encore en boîte euh euh dans un restaurant pour euh souper, euh c’est toujours elle qui paye, hein? Tout, tout x est payé. Tous ces frais, c’est elle qui paye, après elle vous invite chez elle naturellement. Ça, c’est la vie. C’est… ça a pas changé, hein? Euh je… puisqu’on me force à vous le dire, je vais vous le dire. Bon ben il fallait que je fasse la nuit. Ah ah. Bon alors la seule chose qu’il y avait bien souvent, c’est que, bon ben, quand on avait fait ce qu’on devait faire euh Madame… Madame se… se… s’en allait et elle allait coucher dans sa chambre, hein? Alors euh donc moi, je passais la nuit et puis un jour ben ça m’est arrivé que, eh ben, il y a la bonne qui est arrivée avec son… son plat pour mon petit déjeuner le matin, mais elle était tellement belle que, avec la nuit que je venais d’avoir passé avec une femme qui en avait soixante, vous savez, ça m’a… ben ça… ça m’a stimulé. Alors ben, ben, la bonne euh allez hop! Et puis le midi… le midi… je… bon ben, parce que je me suis pas levé de bonne heure euh j’avais passé toute la nuit euh, vous voyez un petit peu le travail, plus la bonne le lendemain matin, j’étais plutôt fatigué, donc je me suis pas levé de bonne heure et je m’en rappelle… ça m’est arrivé qu’une fois, hein? ce… cette chose. J’ai eu… bon je suis rentré avec cette femme que j’avais été au bal la nuit. Le lendemain matin, ça a été la bonne et quand on est passé à table après, il y avait sa fille. Ah j’ai… une déesse, alors euh ben, ben oui, quand je suis ressorti et ben ben oui, hé, la fille aussi! Et… et ça, c’était la vie, mais ça j’étais pas payé, hein? Ni pour la bonne, ni pour la fille, hein? Ça, j’ai pas été payé. La mère était là, elle a rien dit du tout, hein? Ah elle était consentante. Et ça, c’était comme ça que ça se passait à Paris. Ah, croyez-moi, hein? c’était une bonne vie, mais on… on… on vivait, on se marrait et quand on se retrouvait avec les copains, on était à quatre copains, hein? bon ben, on disait:

-Dis donc, tu as… tu as eu quelque chose, toi, cette nuit?

-Ben oui, j’ai fait une cliente, tiens!

Eh ben, si on avait trois sous, [sifflement] allez hop, on allait bouffer tous les quatre au restaurant. Ah ça il y a pas de problème, hein? Il y avait pas plus de sous pour moi que pour les autres, hein? Non non non non non non. On était vraiment quatre… c’étai(en)t même pas des copains, on était quatre frères pour dire, hein, tellement on s’entendait bien.

L’accent méridional

Le locuteur est originaire de Montmeyan, une commune du Nord du Var, située en plein coeur de la Provence. Il a donc un accent méridional rural, qui diffère un peu de sa version citadine, l’accent marseillais. Comme l’enregistrement n’est pas très long, j’aurai recours à d’autres locuteurs méridionaux du projet pour illustrer certains points (Adoucisseur d’eau, Belfast).

Voyelles
• L’accent du Sud est connu pour la réduction des oppositions des voyelles à double-timbre. Dans son système phonologique beaucoup plus simple que celui du français ”international”, [e] et [ɛ] sont deux allophones d’un même phonème et on a toujours [ɛ] en syllabe fermée et [e] en syllabe ouverte:

Tu veux tuer un sanglier, le matin, tu vois, tu fais la toilette du chat: Psst, une poignée d’eau à la figure, puis c’est terminé. / Ah bé sûr, n’aie pas peur qu’ils ont les oreilles fines, hein – prononcés [fe], [se], [ne] alors que la prononciation standard est [fɛ], [sɛ], [nɛ].lien audio

• Même chose pour [o] / [ɔ] et [ø] / [œ], on a toujours le timbre fermé en syllabe ouverte et le timbre plus ouvert en syllabe fermée, même avec une consonne ”fermante” comme [z].Les exemples en ”-euse” sont assez rares et absents de l’enregistrement du chasseur, mais le représentant Culligan, un autre Méridional, prononce un [œ] plus ouvert dans cette position.

et il va sortir à l’autre, là-bas, de… de postier, tu vois. / Avant qu’il saute la route. / C’est pas tout le temps rose (Belfast) / Donc l’eau contient de nombreuses impuretés. (Adoucisseur d’eau)- prononcés [lɔtʀə], [sɔt], [ʀɔz], [bRœz] à la place de [lotʀ], [sot], [ʀoz], [bRøz].lien audio

Il y a deux occurrences où le chasseur prononce un [o] et un [ø] plus ouvert en syllabe ouverte, ce qui démontre une certaine imprécision dans la réalisation de ces voyelles à double-timbre qui ont perdu toute valeur d’opposition en français méridional. Ce phénomène n’a jamais été signalé dans la littérature, il est peut-être simplement idiolectal:

on allume un feu pour se chauffer… le sanglier il sent le feu / les chiens ils font pas long feu hein ils restent sur le carreaulien audio

• L’opposition entre [a] antérieur et [ɑ] postérieur est également absente du système phonologique méridional, mais ce n’est pas une spécificité du Sud. La disparition du [ɑ] postérieur est une tendance générale sur presque tout le territoire français et c’est plus un phénomène générationnel et social que géographique, c’est-à-dire que l’opposition entre ”pattes” et ”pâtes” peut se rencontrer encore chez certaines vieilles personnes et/ou dans un langage très surveillé. Le [ɑ] postérieur se maintient encore dans le Nord, mais c’est surtout au Québec qu’il se porte très bien.

• À l’inverse, une opposition qui a tendance à disparaître en français standard, celle entre [ɛ̃] et [œ̃], se maintient dans le Sud. Dans les exemples suivants, on entend bien le [ɛ̃] étiré de ”fin” et le [œ̃] arrondi de ”un”:

n’aie pas peur qu’ils ont les oreilles fines, hein, et l’odorat fin, aussi hein, pour l’homme. / Oh bé, un par poste.lien audio

• Les voyelles nasales devant consonnes ont tendance à n’être que partiellement nasalisées et suivies d’un léger [n] ou [m] suivant le lieu d’articulation de la consonne; elles sont également plus fermées.

En plein champ [œmplɛ̃], en bordure [œmbɔʀdyʀ] de route, n’importe où. [nɛmpɔʀt] / s’il te voit pas, il te sent pas, le sanglier. [sɛnglije] / Maintenant [mɛntənɛ̃] l’hiver qu’il fait froid, pour ch-… chasser le sanglier en principe, comme il fait froid, que, tu vois, tout le monde [mɔndə], ceux qui sont au poste, tous les postiers, on allume un feu pour se chauffer, tu vois. / Ah ben, tant que possible, sûr, je vais pas commencer [kɔmɛnse] à chanter [ʃœnte] quand tu… tu entends [ɛntɛ̃] les chiens qui arrivent.lien audio

• Les voyelles nasales en finale (syllabes ouvertes) gardent leur nasalisation, mais elles sont également plus fermées et comme suivies d’un petit [ŋ] final. Est-ce la fermeture de la voyelle qui donne cette impression?

Parce que le sanglier, tu le vois pas arriver, tu l’entends pas arriver. C’est les chiens [ʃijɛ̃ŋ] qui t’indiquent que… qu’il vient [vjɛ̃ŋ]. Tu entends les chiens, tu écoutes, tu dis bon, il vient vers moilien audio

Cet appendice vélaire final [ŋ], s’il est présent, est très subtil. Se pose ici la question de la représentation de l’accent méridional. Médéric Gasquet-Cyrus remarque: ”L’autre célèbre marqueur utilisé pour représenter à l’écrit le français de Marseille est l’ajout d’un -g (ou -gue) en fin de mot pour marquer la forte nasalisation de certaines syllabes finales, réalisées en fait sous la forme d’un appendice consonantique vélaire : paing pour pain, demaing pour demain, etc. Il s’agit d’une convention relativement ancienne.” (”Peut-on écrire l’accent marseillais?”, Tipa 29, 2013)

• Les [ə] muets sont moins souvent élidés et prononcés de façon moins ”neutre” qu’en français standard. C’est un son plus ouvert, quelque part entre [ɔ] et [a]:

En plein champ, en bordure de route, n’importe où, le sanglier lui il te voit pas, s’il te sent pas il te voit pas, le sanglier.lien audio

Consonnes
• Les groupes consonantiques [ks] et [gz] auraient tendance à perdre leur explosion initiale et à être prononcés simplement [s] ou [z]: ”par ezemple”, ”parler avé l’assent”, ”espliquer”. Il n’y a pas de [ks]/[gz] dans ce court enregistrement, mais ils abondent dans le long corpus du représentant en adoucisseur d’eau. On remarque que sa prononciation des mots ”accent” et ”exemple” présente une explosion légèrement atténuée, mais c’est loin d’être aussi caricatural que ce que suggèrent les commentateurs de l’accent marseillais:

et dans le bassin de la Ruhr par exemple (Eau 2) / on leur donne souvent en exemple euh les affaires comme Tchernobyl ou autre (Eau 2) / on met un peu l’accent dessus (Eau 3)lien audio

Là encore, cette réduction semble plus conforme à la représentation du français marseillais qu’à la réalité linguistique, beaucoup plus subtile.

• Une autre caractéristique de l’accent provençal serait l’élision des [l] mouillés – c’est-à-dire que le son [l] suivi de [j] serait réduit à [j] – et donc les Provençaux prononceraient ”millions” et ”milliers” [mijɔ̃], [mije]. C’est un phénomène qu’on entend légèrement chez le représentant Culligan:

les détergents employés dans les produits lessiviels, ben, multipliés par cinquante-cinq millions de français, hein? (Eau 2)lien audio

• La palatisation de [t] et [d] devant [i] et [y] – prononcés [tʃ] ou [tj] et [dʒ] – est un autre trait intéressant du français méridional. Selon Médéric Gasquet-Cyrus (Tipa 29, 2013), ce serait une caractéristique ancienne, mais qui se renforcerait récemment dans le parler des jeunes de milieux populaires (quartiers Nord de Marseille). Dans l’enregistrement du chasseur, la palatisation n’est pas toujours présente:

tu es droit, tu bouges pas {aucune palatisation} / On va chasser dedans les collines, il y a plusieurs quartiers {légère palatisation} dans les collines. Bé on fait un quartier {légère palatisation} là euh aujourd’hui, demain on fait le quartier {aucune palatisation} de là-bas, après-demain on fait le quartier {aucune palatisation} de là-bas, tu vois. lien audio

Par contre, l’interlocutrice du chasseur et la jeune femme de Belfast semblent palatiser leurs [t] de façon plus claire, ce qui confirmerait que c’est un phénomène qui concerne plus les jeunes des villes (langage des cités):

vous vous cachez pour les tuer? [puʀletʃye] / il savait que je devais normalement partir en Algérie (Belfast 1) / ouais une bombe, maman, n’importe quoi tu en vois de partout, toi (Belfast 2)lien audio

”On en arrive à la question suivante : les marqueurs de palatalisation/affrication (du type tié/ tch’es) utilisés à l’écrit renvoient-ils à des usages populaires, ou bien se sont-ils récemment «spécialisés» dans la caractérisation de personnages de profil QN {quartiers Nord}/cités ? En d’autres termes, sont-ils destinés à identifier un «Marseillais» (tout court) ou bien un certain type (social) de Marseillais ?” (Médéric Gasquet-Cyrus, Tipa 29, 2013).

Rythme, accentuation
• Beaucoup de [ə] muets sont maintenus dans bien des cas où ils seraient élidés en français international (en finale ou devant une seule consonne). Il n’y a que devant voyelle qu’ils sont élidés:

En plein champ, en bordure1 de2 route3, n’importe4 où – Le premier [ə] est maintenu contrairement à la ”règle des 3 consonnes”; le 3e est maintenu en fin de groupe rythmique contrairement à l’usage du français standard; le 4e est élidé devant voyelle, conformément aux règles de l’enchaînement du français standard.lien audio

Certains [ə] sont ”ajoutés” même s’ils n’existent pas dans la forme graphique. La consonne vocalisée est soulignée dans la transcription (avec, sur):

il faut pas faire une belle toilette et… avec la parfumerie et tout. / on barre les routes. Si le sanglier il y est dedans, automatiquement, il est obligé de sortir sur une route pour traverser.lien audio

• En français standard, les suites Consonne + semi-voyelle + voyelle peuvent être prononcées en une seule syllabe (synérèse) ou en deux (diérèse), suivant l’environnement phonologique, le débit ou la situation de communication. Plusieurs études sur le français méridional ont noté que la tendance à la diérèse y est plus forte qu’en français standard. S’il est normal de prononcé ”sanglier” en 3 syllabes à cause de [gl] (c’est d’ailleurs la prononciation préconisée par le Robert – mais la synérèse n’est pas exclue), la légère diérèse qu’on entend dans ”chiens” est propre au français méridional:

bon tu entends les chiens tu écoutes / pour pas qu’il nous tue les chiens!
 / une eau un peu supérieure (Eau 3) / or si on veut purifier cette eau (Eau 3)lien audio

• Ces deux tendances combinées (maintien des [ə] muets et diérèse) conduisent à un nombre de syllabes nettement plus élevé en français méridional, ce qui donne une impression de débit rapide, un effet de ”mitraillette”:

en bordure de route – prononcé en 7 syllabes ([œmbɔʀdyʀədəʀutə]) alors qu’on en aurait seulement 5 en français standard.
Si le sanglier il y est dedans, automatiquement, il est obligé de sortir sur une route pour traverser. – 8 syllabes de plus que dans la prononciation ”standard ordinaire”!lien audio

L’effet mitraillette est particulièrement frappant chez une autre locutrice méridionale dans l’enregistrement Réveillon à l’hôpital:

J’avais installé la petite nappe sur la petite table qu’ils ont pour se mettre vous savez parce qu’il ne pouvait être qu’assis lien audio

• Quand le groupe rythmique se termine par un [ə] non élidé, celui-ci ne porte pas l’accent de fin de groupe qui se retrouve sur l’avant-dernière syllabe. ”La fréquente réalisation de schwas en finale de mot entraîne une accentuation paroxytonique (accent tonique réalisé sur l’avant dernière syllabe du mot), très rare en français “standard”. Ce type d’accentuation se retrouve également dans des mots d’origine locale (comme aï’oli ou ‘pistou), qui font défaut dans cet extrait. Il en résulte un pied métrique dissyllabique, constitué d’une syllabe tonique suivie d’une syllabe faible.” (Annelise Coquillon, ”Le français parlé à Marseille : exemple d’un locuteur PFC”, Bulletin PFC, 2007).

on (n’) est pas assez pour tenir tous les postes / on va chasser dedans les collines, il y a plusieurs quartiers dans les collines / on y file une cartouche dans la te lien audio

• Annelise Coquillon fait d’autres remarques intéressantes relatives à l’intonation du français méridional. Elle note que la mélodie peut monter sur la dernière syllabe contenant le [ə] muet non élidé: ”Au niveau prosodique, cette particularité a pour effet, lors de réalisation de schwa final d’unité intonative, de rendre possible une réalisation tardive d’un pic de f0 (sur la syllabe post-tonique). Ce schéma mélodique particulier au méridional se retrouve chez notre locuteur {…}”. Elle a aussi trouvé des cas où ce sont les deux dernières syllabes qui montent en ”plateau haut”: ”Pareillement, la courbe mélodique des deux dernières syllabes peut ainsi se retrouver sur la même hauteur, réalisant un plateau haut.” (Annelise Coquillon 2007). C’est ce qu’on entend dans les exemples:

Alors tu veux qu’on soit à deux ou trois à un poste? {paroxyton haut} tu rigoles pas un peu toi? {paroxyton bas}/ on va chasser dedans les collines {paroxyton haut} il y a plusieurs quartiers dans les collines {paroxyton bas}lien audio

Chasse au sanglier

Une jeune femme interviewe un retraité de 67 ans sur la chasse au sanglier. Elle lui pose des questions parfois naïves sur les détails de cette chasse: Faut-il se cacher? être silencieux? où se poster? et comment on fait quand on a tiré? Il lui répond en se moquant d’elle gentiment et en utilisant parfois des termes techniques ou régionaux. La conversation est animée et les deux locuteurs se coupent parfois la parole ou parlent ensemble.

Le chasseur a un accent méridional très prononcé: les consonnes nasales sont dénasalisées (sanglier = cing-glier), les « e » finaux ne sont pas élidés (en bordure de route = ing bordureu deu routeu) et son intonation est très chantante. De plus, il est très expressif et emploie un grand nombre d’interjections et d’éléments phatiques: oh, ah, eh, bé, sûr (pour bien sûr), hein, tu vois. Il a tendance a employer la juxtaposition de courtes phrases plutôt que la subordination: «tu veux tuer un sanglier, tu fais la toilette du chat». Le niveau de langue est très familier: aucun ne de négation n’est réalisé et la plupart des sujets sont redondants («le sanglier, il te voit pas»). Débit moyen de 217 mots/min.

  • Première partie: L’odorat [00:00 → 01:24]

Le sanglier, s’il te sent pas, il te voit pas. Tu veux tuer un sanglier, tu fais la toilette du chat (ni tu te laves, ni tu te parfumes) pour enlever l’odeur de l’homme, parce que ça il le craint, l’odeur de l’homme.

Chasse (1)

  • Deuxième partie: L’ouie [01:24 → 02:33]

Ils ont les oreilles fines, il faut pas faire de bruit, je vais pas commencer à chanter quand j’entends les chiens… parce que c’est les chiens qui t’indiquent qu’ils viennent. Si tu fais du bruit, ils font demi-tour et ils foutent le camp ailleurs.

Chasse (2)

  • Troisième partie: La mise à mort [02:33 → 03:58]

Il y a plusieurs quartiers dans les collines, on barre les routes et quand il traverse la route, c’est là qu’on le tue. Mais il meurt pas tout de suite, des fois, alors on lui met une cartouche dans la tête à bout portant et il bouge plus.

Chasse (3)

Chasse au sanglier (1)

enregistrement

– Et vous … vous vous cachez pour les tuer? ou comment vous faites?

– Bé non, on (n’) est pas cachés.

– Vous êtes en plein… plein milieu du bois.

– En plein champ, en bordure de route, n’importe où. Le sanglier, lui, il te voit pas, s’il te sent pas, il te voit pas le sanglier. Sûr, si tu fais la java au milieu de la route, il te voit, mais, tu es droit, tu bouges pas, s’il te sent pas, qu’il te pipe pas comme on dit, tu vois, s’il sent pas ton odeur, eh bé … Maintenant l’hiver qu’il fait froid, pour ch-… chasser le sanglier en principe, comme il fait froid, que, tu vois, tout le monde, ceux qui sont au poste, tous les postiers, on allume un feu pour se chauffer, tu vois, et en même temps, la fumée du feu, ça lève l’odeur de… Le sanglier il sent le feu, mais il sent pas nous, que nous sommes derrière le feu, qu’on est là, qu’on attend, tu vois.

– Ah oui, c’est x un bon moyen alors pour le tromper.

– Eh, ça lève l’odeur. Parce que le matin, si tu vas à la chasse aux sangliers, il faut pas faire une belle toilette et… avec la parfumerie et tout, parce que là, tu en tueras jamais de sanglier. Tu veux tuer un sanglier, le matin, tu vois, tu fais la toilette du chat: une poignée d’eau à la figure, et tu vas prendre le poste, tu prends la douche le soir. Le matin, ni tu te laves, ni tu te parfumes: la toilette du chat, comme on appelle, tu vois. Psst, une poignée d’eau à la figure, puis c’est terminé.

– Il faut se confondre avec la forêt alors.

– Eh oui que… pour lever mm l’odeur de l’homme, parce que ça, il le craint, l’odeur de l’homme, hein.

Chasse (2)

Chasse au sanglier (2)

enregistrement

– Il faut rester silencieux quand vous chassez. Ils en-… ils en-… ils entendent ou pas?

– Ah bé sûr, n’aie pas peur qu‘ils ont les oreilles fines, hein, et l’odorat fin, aussi hein, pour l’homme.

– Il faut pas faire de bruit alors.

– Ah ben, tant que possible, sûr, je vais pas commencer à chanter quand tu… tu entends les chiens qui arrivent.

– Et vous êtes à combien, par poste?

– Parce que le sanglier, tu le vois pas arriver, tu l’entends pas arriver. C’est les chiens qui t’indiquent que… qu’il vient. Tu entends les chiens, tu écoutes, tu dis bon, il vient vers moi, il vient… il vient me sortir à moi. Ou bien, hop, il p-… il passe là-bas et il va sortir à l’autre, là-bas, de… de postier, tu vois. Alors si tu fais du bruit, bé, le sanglier va pas sortir. Il fait demi-tour et il fout le camp ailleurs.

– Et vous êtes combien par poste?

– Oh bé, un par poste.

– Un? Vous êtes pas deux?

– Ah bé jamais de la vie! On en a… on a… des fois, on (n’) est pas assez pour tenir tous les postes, et on est obligé de tenir deux postes ou trois à un… à un chasseur … Alors tu veux qu’on soit à deux ou trois à un poste? Non mais, tu rigoles pas un peu, toi? Tu viens un matin avec moi, puis tu verras comme ça se passe. Si tu as le courage de… d’affronter le froid et le mauvais temps.

Chasse (3)

L’accent québécois

On trouve dans cet enregistrement beaucoup d’illustrations de phénomènes phonétiques divers caractéristiques du français québécois: des tendances affectant la prononciation des consonnes et des voyelles, des phénomènes d’élisions et de conjugaison.

  • La prononciation des consonnes:

Les consonnes [d] et [t] sont affriquées (c’est-à-dire suivies d’un léger sont [s] ou [z]) quand elles précèdent les voyelles [y] ou [i]: Alors, vous avez entendu la question de notre auditeur euh… D’abord est-ce que c’est un phénomène qui est inhabituel? ([ɑ̃tɑ̃dzy], [odzitœʀ], [inabitsyɛl]) lien audio

La réduction des suites de 2 consonnes en syllabes fermées est fréquente, mais notons que ce n’est pas un phénomène exclusif au français québécois: mais il y a d’autres facteurs aussi qui peuvent euh causer ça ([dowt] à la place de [dotʀ]) une petite tache euh rougeâtre là ([ʀuʒɑwtlɑ]) un petit morceau de chair qui s’est détaché de l’oviducte ([lovidyk]) pour être capable de voir à l’intérieur de l’œuf là ([ɛtkapab])lien audio

  • La prononciation des voyelles:

En syllabes accentuées fermées, les voyelles longues tendent à se diphtonguer: vers l’âge de seize semaines ([ɑwʒ], [sɛjz]) il y aura pas de jaune à l’intérieur ([ʒown]) un petit morceau de chair qui s’est détaché ([mɔʀsotʃaɛʀ]) au début de la ponte ([dlapɔ̃wt]), etc.lien audio alors que les voyelles courtes ([i], [y] et [u]) tendent à se relâcher, c’est-à-dire qu’elles sont prononcées avec moins de tension (dans l’étirement ou l’arrondissement des lèvres) qu’en français standard: l’utérus de la poule ([yterYs], [pUl]) Ça c’est pas toxique ([tɔksIk]) le blanc d’œuf /va, doit/ être plus liquide ([likId]) les bruns vont venir de la poule brune ([bʀYn])lien audio En syllabes ouvertes, la voyelle nasale [ɑ̃] devient [æ̃], ou même [ɛ̃]: c’est un phénomène qui va se produire euh souvent lorsque la poule est très jeune, une fois de temps en temps là, elle a formé un blanc, c’est assez fréquent, etc.lien audio Le [ɑ] postérieur devient encore plus postérieur, jusqu’à se confondre presque avec le son [o]: Ça peut être une des raisons , ça, c’est pas toxique, quand ces filaments- sont pas  lien audio

  • Élisions et autres particularités de conjugaison:

Les adverbes “puis” et “bien” sont systématiquement prononcés “pis” et “ben”: pis son système est comme pas synchronisé encore pis ses premiers œufs que la poule va pondre {…} je |ne, le| sais pas euh si Jean-Marc, c’était des… des… des petits œufs qui… qu’il consommait ou ben non c’était des gros œufs lien audio L’élision des formes en “c’est” est typique du français familier, pas seulement au Québec: C’est un phénomène qui va se produire ([stœ̃] au lieu de [sɛtœ̃]) C’est à cette étape-là qu’ils vont euh s’assurer du contrôle de la qualité ([sta])

Même chose pour les formes démonstratives “cet(te)” prononcées [stø], mais dans cet enregistrement on en voit un exemple extrême où “ces” est prononcé [ste]: autour de ces deux jaunes-là [stedøʒownlɑ]

Parfois, la forme “c’est” est prononcée si légèrement qu’elle est presque inaudible: (ils) sont presque tous pareils parce que c’est selon le poids de l’œuf. lien audio L’élision du pronom “il(s)” (prononcé [i] au lieu de [il]) est normale devant consonne dans toutes les variétés de français oral “ordinaire”. Cependant, cette tendance est plus forte au Québec et elle s’étend aux conjugaisons des verbes commençant par une voyelle, ce qui entraîne l’apparition d’un hiatus: il a une auto / ils ont une auto ([ija], [ijɔ̃]) il a fait une tache de sang ([ija])

Donc, quand le locuteur prononce [ijavɛ], on ne peut pas toujours décider entre “il avait” et “il y avait”, d’où l’astuce de transcription: Il parlait d’une petite tache euh rougeâtre là qu’il (y) avait dans son œuf

Dans des cas extrêmes, le pronom “il” est complètement élidé: quand qu’il est tombé dans l’utérus ([kɑ̃ketɔ̃be]) lien audio Le pronom “elle” est prononcé [a] devant consonne: elle s’est ramassée ([aseʀamɑse]) elle va envoyer ([avaɑ̃vwaje]) plus la poule elle va vieillir ([plyslapUlavavjejiʀ]) lien audio Un autre phénomène d’élision connu (mais non exclusif au français québécois) est la disparition du pronom impersonnel “il” ou du pronom neutre “ça” dans des formes comme “faut faire ça”, “fait chier”. C’est cette disparition du sujet qui a produit la forme “fak” (contraction de “ce qui fait que” ou “ça fait que”), qui fonctionne comme un articulateur typiquement québécois: … elle a formé un blanc pis la coquille par dessus. Fak ça ça peut arriver là que si l’œuf était gros. lien audio Un autre trait connu de la conjugaison en français québécois est l’apparition de consonnes explétives non étymologiques (certains emploient l’adjectif pompeux d’éphelcystique), qui sont utilisées pour éviter les hiatus (“ça l’a pas marché”, “t’es -t- en forme”, “chu -t- enrhumée”, etc.): ils vont les mirer, vont les laver, vont classer les œufs, pis ils vont n’en faire la distribution. lien audio On entend aussi la consonne finale de certains participes passés, un phénomène qu’on pourrait confondre avec la liaison: il a fait une tache de sang ([ijafɛt]) lien audio Comme en français méridional, le “s” final de l’adverbe comparatif “plus” est prononcé dans toutes les positions, ce qui est contraire à la prononciation standard (où il n’est prononcé qu’en finale absolue): Pis plus la poule elle va vieillir, plus que son système est synchronisé lien audio

  • Intonation

L’accent tonique porte parfois sur l’avant-dernière syllabe au lieu de la dernière, dans le cas de mots de 3 syllabes ou plus: ça a rien à voir avec l’alimentation parce que là dans nos poulaillers {…}; on a des postes de classification; ils sont redirigés vers la transformation  lien audio ou dans le cas de la finale [ase]: c’est eux qui vont les classer; voir si les oeufs sont pas cassés lien audio Cette observation rejoint la théorie d’Henrietta Cedergren et de son équipe, selon laquelle le français québécois se distingue du français standard par le fait qu’il ne présente pas uniquement un accent tonique (purement démarcatif), mais aussi un accent dynamique, dépendant des propriétés syllabiques: “Nous supposons que l’accent dynamique en français québécois est une propriété des syllabes, tandis que l’accent tonique est une propriété des syntagmes intonatifs.” (H. Cedergren et al., “L’accentuation québécoise: une approche tonale”, Revue Québécoise de Linguistique vol 19 nº2, 1990, 25-58).

Chasse au sanglier (3)

enregistrement

– Et chaque fois que vous allez chasser, vous êtes euh tout le temps au même endroit? ou il y a des endroits… enfin, si, il y a plusieurs endroits?
– Ah bé, sûr, il y a plusieurs… On va chasser dedans les collines, il y a plusieurs quartiers dans les collines. Bé on fait un quartier là euh aujourd’hui, demain on fait le quartier de là-bas, après-demain on fait le quartier de là-bas, tu vois.

– Et vous êtes sûr que le sanglier va passer par là?

– Ah bé, on barre les routes. Si le sanglier il y est dedans, automatiquement, il est obligé de sortir sur une route pour traverser. Alors, bé, quand il traverse la route, c’est là qu’on le tue.

– Et si vous a-…

– Pas sur la route, parce que c’est x interdit. Avant qu’il saute la route.

– Et vous venez de tuer un sanglier. Comment vous faites à ce moment-là?

– Bé, comment on fait?… On attend qu’il soit… on le tue, il meurt pas de suite des fois.

– Alors comment vous faites?

– Eh bé, ou on le saigne avec un couteau, ou bien on y file une cartouche dans la tête pour le finir.

– Ah oui, pour pas qu‘il souffre.

– Pour… C’est pas pour pas qu’il souffre, souffre, on s’en fout, pour pas qu’il nous tue les chiens! Parce qu’un sanglier blessé, avec les défenses qu’il a, selon le sanglier que c’est, les chiens, ils font pas long feu, hein? Ils restent sur le carreau.

– Il devient féroce alors.

– Avec un coup de dents … Et puis toi, si tu y vas là-bas aussi, tu risques de… de morfler.

– Là, après, ils… enfin ils deviennent féroces, ils…

– Oh mais là c’est…

– Ils font n’importe quoi.

– On y file une cartouche dans la tête, une cartouche de plomb, alors du petit plomb, du plomb des grives là, à bout portant là, et puis voilà, et il bouge plus.

L’accent parisien

L’accent parisien

 

Il y a plusieurs accents parisiens. Cette interview d’une personne assez âgée, faite en 1987, illustre le français parisien ”gouailleur” de la classe populaire des faubourgs, celui des ”titis parisiens”, comme le locuteur le dit lui-même en début d’interview: ”ah, les jeunes, on veut que je vous parle, je vais vous parler, vous raconter ma vie, elle est pas belle, elle est pleine de trous comme un bon petit titi parisien que je suis”.

L’expression ”gouaille” ou ”accent gouailleur” indique bien qu’il ne s’agit pas seulement de caractéristique phonétique, mais bel et bien d’une attitude: insolente, moqueuse, voire égrillarde (c’est-à-dire pleine de sous-entendus licencieux), particulièrement quand le locuteur évoque sa carrière de danseur mondain.

 

prononciation des consonnes:

Le français parisien populaire est connu pour sa prononciation relâchée et rapide, qui se manifeste par un affaiblissement des consonnes intervocaliques, surtout [v]:

j(e) sais plus quoi (v)ous dire parce que j(e) suis ar-… j(e) suis arri(v)é presqu’au bout de mon rouleau, hein? – si vous (v)oyez ce que je veux (v)ous dire lien audio

 

D’autres consonnes peuvent être affaiblies et presque disparaître:

(il) faut quand (m)ême vous inviter au restaurant, et tout ça
(Ç)a aussi, je l’ai fait, décharger les camions la nuit lien audio

 

La consonne [ʀ] au contraire est renforcée, elle est prononcée de façon un peu plus âpre qu’en français standard:

on faisait aussi des bals, des petits bals populaiRes entre deux (…) on était payés à la soiRée, aloRs… lien audio

 

• prononciation des voyelles:

Il y a des tendances très conflictuelles concernant la prononciation des voyelles. Différents linguistes mentionnent un recul des lieux d’articulation ([ɑ̃] → [ɔ̃], [a] → [ɑ]), une tendance à la fermeture ([a] → [æ]), à l’ouverture ([ɔ] → [a]) et à l’avancement ([ɔ] → [œ]), bref, ça va dans tous les sens! Il faut retenir une tendance à la neutralisation des voyelles inaccentuées, cette neutralisation se réalisant [œ], [æ] ou [a] suivant les habitudes articulatoires des locuteurs. Ainsi, ”Paris” se prononce [pæʀi] ou [paʀi] (notre locuteur); ”joli” se prononce [ʒœli] (notre locuteur), ou [ʒali], ou [ʒæli]:

c’était très joli [ʒœli] aussi / si vous êtes au-dessus de la Roquette [ʀœkɛt] / qui était très joli [ʒœli] avant lien audio

 

En syllabes accentuées, la tendance au recul et/ou à la fermeture du lieu d’articulation (tendance typique du Nord) s’observe dans certains passages de l’enregistrement:

ça vous la gagnez moins, mais elle a été gagnée [gɑɲe] honnêtement [onɛtmɔ̃] lien audio

 

Par contre, ”non” a tendance a être prononcé ”nan”, ce qui correspond plus à une prononciation populaire que régionale: ”nan” est à ”non” ce que ”ouais” est à ”oui”.

Non! mieux vaut qu’ils aillent voir les bas-fonds de Paris!
Ah non, non, non. Tout se paye.
Il y avait pas plus de sous pour moi que pour les autres, hein? Non non non non non non! lien audio

 

• élisions:

Le français parisien populaire élide beaucoup les [ə] muets, et avec eux certaines consonnes finales pour éviter ce que Françoise Gadet appelle des ”groupes consonantiques chargés”:

on (n’) était pas un orches(tre) [ɔʀkɛs] vous voyez d(e) vedettes
mais l(e) danseur mondain ça c’est une aut(re) chose – i(l) faut l(e) viv(re), hein?
c’est des choses que… on… on voit p(eu)t-êt(re) p(l)us [ptɛtpy] main(te)nant [mɛ̃nnɑ̃]
Vous d(e)vez êt(re) discret au possib(le)
on allait bouffer tous les quat(re) [tulekat] au restaurant, etc. lien audio

 

L’élision de ”cette” devant consonne suit un modèle différent du français standard, où c’est le premier ”e” qui est élidé et non le second:

bon j(e) suis rentré avec c(e)tte femm(e) [avɛkstəfam] que j’avais été au bal la nuit lien audio

 

Les élisions sont également fréquentes dans la prononciation des pronoms tu, il, qui et de la conjonction et puis; il impersonnel peut disparaître complètement dans les expressions ”il y a”, ”il faut”:

(Il) y avait [javɛ] mon pot(e) qu(i) était [ketɛ] accordéonist(e) et p(u)is un aut(re) qu(i) était au piano.
(il) faut quand (m)êm(e) vous inviter au restaurant, et tout ça
j’avais un copain qu(i) était à Montparnasse et i(l) m’app(e)lait i(l) m(e) disait: «…»
t(u) as eu que(l)qu(e) chos(e), toi, c(e)tte nuit? lien audio

 

Si il personnel se prononce [i] devant consonne (ce qui est la prononciation normale du français ordinaire), par contre ils prononcé [iz] fait populaire:

mieux vaut qu’ils [kiz] aillent voir les bas-fonds d(e) Paris, [kiz] aillent du côté d(e) la République… [kiz] aillent dans les bals musette lien audio

 

• ajouts:

À l’opposé de toutes ces réductions, il y a quelques ajouts significatifs. Dans la conjugaison, la langue populaire ajoute la terminaison [j] pour accentuer la marque du subjonctif: ”il faut que je voie [vwaj]”, ”qu’il ait [ɛj]”; de même, pour les verbes dont l’indicatif présente la forme alternante [ɛj] / [ɛ], il semble que c’est toujours la forme la plus lourde qui soit favorisée:

Et que ça soit [swaj] de mon temps euh
Ah non, non, non. Tout s(e) paye [pɛj]. lien audio

 

Le locuteur prononce le ”s” final de tandis. C’est surprenant, car les prononciations de ”s” finaux sont plutôt l’apanage des parlers du Sud de la France:

tandis qu’autrement vous voyez la vie parisienne snobisme lien audio

 

La prononciation bizarre d’Arc de Triomphe [tʀijɔ̃fl] correspond à une prononciation enfantine ou vulgaire qui a été notée par plusieurs spécialistes du français populaire, linguistes ou hommes de lettres (Queneau).

mais d’aller voir le Panthéon, qui c’est qui y a pas été? L’Arc de Triomphe, la Tour Eiffel, bon ben, c’est tout mais ça c’est pas la vie parisienne lien audio

 

• intonation, rythme:

Le locuteur a un débit assez rapide et constant, avec un rythme très régulier. L’intonation aussi est régulière et monotone, avec accent sur la dernière syllabe comme c’est la norme en français standard. Le schéma intonatif change parfois, avec un accent montant sur l’avant-dernière syllabe et descendant sur la dernière, typique de l’accent parisien populaire:

qu’est-c(e) qu’i(ls) vont voir? le Panthéon, la Tour Eiffel euh.
vous voyez la vie parisienne-snobisme
donc j(e) me suis pas l(e)vé d(e) bonne heure lien audio

 

Les études récentes sur le ”déplacement” de l’accent montant sur l’avant-dernière syllabe dans le langage des jeunes parisiens s’accordent à dire que cette intonation n’est qu’un cas particulier d’intonation emphatique: «… les contours montants-descendants ne peuvent pas être considérés comme un phénomène nouveau et/ou spécifique à l’accent des jeunes de la banlieue parisienne. Si nouveauté il y a, elle réside davantage en ce qu’ils sont susceptibles d’être employés en contexte, à des fins pragmatiques, en fonction de l’implication des locuteurs en interaction et de l’appréhension partagée d’une proximité communicationnelle. C’est la raison pour laquelle il serait plus pertinent dorénavant de ne parler que d’un seul et même contour, que l’on pourrait appeler « emphatique », se caractérisant par un patron mélodique montant-descendant. » (Roberto Paternostro, Jean-Philippe Goldman, «Vers une modélisation acoustique de l’intonation des jeunes en région parisienne», Nouveaux cahiers de linguistique française 31 (2014), 257-271)

 

Le locuteur a également tendance à allonger les syllabes finales en y ajoutant des ”euh”, ce qui entraîne le schéma montant-descendant:

si vous êtes euh au-dessus d(e) la Roquette euh eh ben vous avez Rue d(e) la Roquette euh
à ce moment- euh ils arrivaient avec la Rolls avec chauffeur et tout euh lien audio

 

Ces ”euh” n’ont pas vraiment de valeur d’hésitation, c’est plutôt un tic de langage, une nouvelle tendance du français oral. Claire Blanche-Benveniste (2010) remarque: «On reproche aux professionnels des médias de répandre, depuis les années 1970, des allongements de fin de mots avec un [œ] final, qui ressemble au euh d’hésitation et qui donne souvent une valeur d’emphase.»

Bon ben, après le bal euh elle vous invite encore en boîte euh dans un restaurant pour euh souper euh c’est toujours elle qui paye, hein? lien audio

 

En plus des accents normaux de fins de groupes rythmiques (sur la dernière ou l’avant-dernière syllabe), le locuteur utilise des accents d’insistance dans plusieurs énoncés emphatiques:

L’Arc de Triomphe, la Tour Eiffel, bon ben, c’est tout mais ça c’est pas la vie parisienne, ça c’est les monuments parisiens, ça c’est… c’est… c’est tout.
Pas voler, la seule chose qu’il faut pas faire c’est de voler.
Oui j’ai fait le danseur mondain aussi, si vous voulez. Ça aussi, je l’ai fait. lien audio

 

• au-delà de la langue articulée:

Les caractéristiques du parler de ce locuteur ne se limitent pas à des propriétés phonétiques segmentales (de prononciation) ou suprasegmentales (prosodiques). Comme on l’a vu dans la section précédente, l’accentuation et l’intonation ”parisienne”, l’ajout de euh parasites, ne sont pas vraiment des caractéristiques d’un français régional et/ou sociolectal (le français parisien populaire), mais sont plutôt l’expression d’une attitude: emphase, implication, sous-entendus égrillards, goguenardise voire suffisance (cockyness). Cela s’entend particulièrement dans les multiples éléments phatiques (transcrits approximativement par ah, euh, hé, etc.) employés par le locuteur, et prononcés de façon appuyée, allongée et gutturale:

et quand on est passé à table après, il y avait sa fille. Ah j’ai… une déesse, alors euh ben, ben oui, quand je suis ressorti et ben ben oui, , la fille aussi! , et ça c’était la vie mais ça j’étais pas payé ni pour la bonne ni pour la fille hein lien audio

 

D’autres éléments expressifs notables sont les onomatopées et les sifflements:

Alors ben, ben, la bonne euh allez hop!
Eh ben, si on avait trois sous, [sifflement] allez hop, on allait bouffer tous les quatre au restaurant. lien audio

Agence matrimoniale

Une locutrice de 40 ans, originaire de Nancy (Nord-Est de la France), raconte sur un ton très animé comment elle a rencontré son troisième mari par l’intermédiaire d’une agence matrimoniale. Elle a beaucoup d’humour et un vrai talent d’actrice quand elle joue à citer les paroles des autres en changeant sa voix ou quand elle fait des pauses dramatiques au milieu de son récit. Son accent et sa syntaxe sont résolument populaires. L’accent “chti” du Nord de la France se caractérise par le timbre des voyelles plus fermé (mômanpour maman), l’utilisation du [a] postérieur (c’est râpé), et une mélodie mettant l’accent sur l’avant-dernière syllabe. La syntaxe vernaculaire présente, entre autres, une utilisation non normée de la conjonction que (la façon qu’il regardait, comme si que je le connaissais). Son débit est très rapide: 263 mots/min.

Elle a été interviewée au cours d’une émission de télé sur les différents moyens de rencontrer l’âme soeur, et la journaliste qui anime l’interview présente un grand contraste avec son interlocutrice de par son parler globalement soigné, voire un peu maniéré et son ton gentil mais un peu condescendant. Elle a un léger accent parisien, mais son accent est plutôt idiolectal [propre à elle-même], notamment sa façon d’ouvrir les voyelles: bonheur prononcé beunheur.

  • Première partie: L’agence [00:00 → 02:10]

Puis, il m’a dit: «Regarde, il y a l’annonce qui dit euh la campagne. Regarde, c’est un monsieur qui cherche quelqu’un pour aller s’occuper de ses enfants.»

Agence (1)

  • Deuxième partie: Première rencontre [02:10 → 03:58]

Mais en le regardant… Je le regardais, il avait une façon, je sais pas, moi… Ça avait fait tilt, quoi. Je l’ai vu, je… la façon qu’il regardait… la façon de son visage, ça m’avait… En moi-même, j’ai dit: «Je resterai avec».

Agence (2)

  • Troisième partie: Dans la voiture [03:58 → 04:52]

Je suis partie, puis j’ai dit: «Mon minou…» parce que je savais pas où j’allais… je savais bien que c’était…, mais je savais pas où.

Agence (3)

  • Quatrième partie: Premier contact [04:52 → 06:18]

Puis j’ai dit: «Ben alors, vous n’avez pas ras-le-bol de faire le cirque comme ça autour de la table? On est à table, on reste à table, on fait pas ça, je dis, c’est pas bien!» Alors, surtout, Daniel, je le verrai toujours, avec son verre de Ricard. Il a lâché le verre.

Agence (4)

  • Cinquième partie: L’essai de huit jours [06:18 → 08:05]

J’ai pris ma valise, les affaires qu’il me fallait. J’ai dit: «Je vais partir huit jours». J’ai dit: «On va faire un essai de huit jours». J’avais appelé madame euh Michèle Lambert euh pour lui dire que j’étais chez Daniel. Elle dit: «Quoi?»

Agence (5)

Agence matrimoniale (1)

enregistrement

– Donc, Colette vous… vous avez aujourd’hui quarante ans.

– Oui.

– Vous avez cinq enfants.

– Oui, de mon premier mariage. Le père a abandonné ses enfants, je me suis retrouvée toute seule avec cinq enfants. Et puis j’ai euh connu Frédo euh

– Donc, Frédo, votre euh second mari?

– Oui, voilà, qui est décédé. Bon, suite à ça euh j’ai pris le journal, l’Est Républicain. Et puis mon fils voulait une mobylette pour l’école, parce que ça posait trop de problèmes pour lui. Et puis il m’a appelée dans la cuisine, il me dit: «Maman, viens voir, il y a quelque chose». Alors, je pensais que c’était une mobylette qu’il avait trouvée [mm mm] puisque c’était le… le… le but. Puis, il m’a dit: «Regarde, il y a… il y a l’annonce qui dit euh la campagne. Regarde, c’est x un monsieur qui cherche quelqu’un pour aller s’occuper de ses enfants. Ah, il dit, comme toi tu aimes bien euh… tu voudrais partir de…» On voulait partir de Nancy, parce qu’on avait trop de mauvais souvenirs. Alors, je dis… «On téléphone! On se dépêche!, qu’il dit, oh, téléphone! téléphone!» «Ah ben, je dis, non». Euh j’avais pas tellement envie, parce que je venais de perdre euh euh… je venais d’être veuve. Et puis bon, ben, c’était pas dans le but euh «Oh, si, allez, maman, allez euh téléphone! téléph-…!» Puis, c’est… c’est mon fils qui a fait le téléphone.

– Mais il… il avait quel âge, votre fils?

– Mon fils avait treize ans.

– Treize ans, il avait envie à nouveau d’avoir un… un foyer?

– Oui, ben, oui. Il voulait pas me laisser, il voulait pas que je reste toute seule. Il avait pas envie. Euh ça a été trop dur pour nous, parce qu’on s’y attendait pas du tout.

– Donc c’est lui qui vous a guidée?

– Oui, ben, il m’a… il m’a accompagnée jusqu’à… devant la porte de l’agence. On a attendu, je suis rentrée. Il y avait un beau petit salon, quoi, avec fauteuils euh assez… Puis, Michèle s’est présentée euh m’a f-… elle m’a fait rentrer dans son bureau, très décontract. Euh elle m’a posé des… des questions, ben, ma vie. Je lui ai dit carrément, je venais d’enterrer mon mari euh j’avais cinq enfants. Carrément. Puis, bon, elle m’a expliqué que le papa là euh était tout seul avec quatre enfants. Euh je pensais qu’il était veuf euh aussi.

– Oui.

– La façon… Puis, elle m’a dit: «Non, la maman est partie, elle les a laissés».

– Et ça ne vous a pas fait peur, vous, que ce… ce monsieur, justement, ait alors, lui, quatre enfants?

– Ben, et la… Non, quatre enfants, non, parce que nous, je… je suis déjà issue d’une famille de dix-huit frères et sœurs. Puis, on s’attendait pas, on était à table avec les enfants, puis le téléphone a sonné, puis mon fils a dit: «Maman, c’est Daniel». J’ai dit: «Daniel?» Il a dit: «Oui, le… le gars de la campagne, là, le… le… celui-là, de l’agence». Alors là, il m’a dit: «Quand est-ce que ça vous…? – Ben, j’ai dit, ben, demain».

Agence (2)

Agence matrimoniale (2)

enregistrement

– Quand il est venu, mon fils m’a dit… Ils étaient à la fenêtre, ils guettaient. J’étais en train de me préparer, tout ça, puis, bon, alors, j’ai dit: «Bon, ben, quand même la campagne….» Je voyais pas la campagne-campagne, je voyais la campagne moderne [mm mm] sur le coup, hein? Alors je mettais tailleur, j’ai dit: «Bon, je vais quand même mettre un tailleur, les talons» euh pour quand je m’habille avec des talons aiguilles, et tout ça, j’ai…

– Ah, vous vous êtes faite belle?

– Ah, sur mon trente et un. Je suis euh arrivée en bas, puis j’ai dit: «C’est vous, Daniel? – Oui – Ben, moi, c’est Colette». Alors, sur le coup, il m’a regardée, puis j’ai dit: «J’ai quelque chose qui va pas?», puisqu’il me regardait de la tête aux pieds, des pieds à la tête. J’ai dit: «J’ai une tache? J’ai euh un bas filé? J’ai… j’ai quoi, j’ai un problème?»

– Ah, vous lui avez dit? Non, c’était intérieur?

– Euh non, c’est x intérieurement, j’ai dit: «J’ai un problème?» Alors, je regardais, j’ai dit… j’ai dit: «Vraiment, il doit y avoir un problème», et puis, il a bien resté, quoi? cinq minutes, comme ça à me…

– À vous détailler?

– J’ai… j’ai vraiment quelque chose qui va pas. Alors, j’ai dit…

– Sans parler?

– Sans parler. Ah oui, il parlait pas du tout. Alors, c’était pas… Pour moi, c’était assez stressant, parce que j’ai dit: «J’ai dû faire une gaffe euh il y a un truc». Puis, il me dit: « Ben, non, mais, il me dit euh où qu’on va aller, là-bas, il y a des travaux ….» Ben j’étais pas trop équipée, alors il y a ma fille qui était euh au balcon me dit: «C’est x un problème, maman? – Ben, je dis, tu m’envoies les baskets, puis le j- le jogging, parce que je crois que je peux pas aller en talons». Alors de la fenêtre du quatrième, ma fille m’a envoyé un sac avec les… les baskets et puis le jogging.

C’est la tenue qui était pas ⍽ appropriée?

– Parce que… vu la tenue qui n’allait pas.

– Mais vous, qu’est-ce que… qu’est-ce que vous avez euh?

– Ben, quand je l’ai vu, il était… il était très timide, hein? Il parlait pas, rien. Alors, c’est vrai que ça /m’était, mettait/… C’était un peu… Mais en le regardant… Je le regardais, il avait une façon, je sais pas, moi. Ça avait fait tilt, quoi.

– Ah bon? tout de suite pour vous, un coup de foudre?

– Oui, oui, oui, directement. Je l’ai vu, je… la façon qu’il regardait… la façon de son visage, ça m’avait… En m-… en moi-même, j’ai dit: « Je resterai avec».

– Tout de suite?

– Ah oui, je… je… C’était plus fort que moi, c’est… Il y avait quelque chose en moi qui disait… P-… pour moi, ça faisait comme si que ça faisait des semaines que je le connaissais, ça, et c’était la première fois que je l’avais vu.

Agence (3)

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